(satine) Blah Blah Blah

“sir, that’s my emotional support lipgloss” — Work smarter, not harder — “silence, you uneducated peanut” — darling, but with a slightly patronizing tone — not all your life decisions have to be smart, some can be for pure cinematic value — aphrodite — I beg your finest pardon? — “Unless I’m mistaken” — boss ass bitch — call me Mother — fueled by spite and provocation only — vegan — married to her job — heaving sound as she apologizes — red nail polish — no as a default answer — glued to her phone 24/7 — uninterested "hm" — dog person.


Une petite fille naît un soir d’été au domicile familial, après une grossesse tant attendue qu’on a tout fait pour que rien ne puisse échapper au contrôle de monsieur & madame. Suivi régulier, sage-femme sélectionnée pour sa bonne presse et grassement payée pour s’assurer du bon déroulement de la grossesse; l’arrivée de Satine ne doit rien au hasard. Sa chambre était prête depuis des années, son prénom choisi lors des tous premiers essais non concluants, mais enfin la voilà, ce bébé rêvé aux joues rebondies et aux yeux de glace. Une baby shower est donnée en son honneur, et ses parents s’attèlent déjà à programmer son avenir, lui prédisant de suivre les traces de son père dans la politique et d’épouser un grand homme — le tout petit prince William, peut-être. Il faut dire qu'on rêve grand, chez les Hastings.

I felt like a poodle, you know what I mean? They would tie pretty ribbons in my hair and train me to sit straight and be a good girl. It wasn’t a child they wanted, it was something to show off and mold as they pleased.

Satine reçoit l’éducation militaire d’un père ayant fait carrière dans la Royal Air Force, et d’une mère ayant baigné dans le milieu aristocrate. Ses parents l’élèvent de la même manière qu’ils l’ont conçue : rigoureusement. Satine suit sa mère dans ses déplacements mondains, apprend à aimer les scones et les danses de salon, à contenir ses instincts lui criant de parler fort et de couper la parole pour plutôt placidement écouter les adultes parler. La gamine veut jouer au foot, mais ses parents l’inscrivent à la gymnastique. En vacances à Paris, elle se foule les zygomatiques pour conserver un sourire poli et apprendre à rouler ses r. Les amies de sa mère s’extasient devant ses airs de poupée et ses yeux de biche, et Satine écrit dans son journal intime qu’elle fuguera dès leur retour à Londres. Mais il n’y a pas de place pour les secrets chez les Hastings. Sa mère lit son journal, ses projets enfantins d’escapade vers la liberté, et prive sa fille de sortir jusqu’à la rentrée.

Satine fait ses classes dans une école privée pour jeunes filles où elle rencontre ses premières véritables amies. Avec elle, elle apprend la liberté la vraie, celle que ses parents ont tout fait pour lui cacher. Satine rejette les robes à col claudine et les rubans pour cheveux, et elle migre vers le fond de la classe, collectionne les blâmes pour bavardages et les comportements provocateurs. Elle terrorise les plus studieuses de ses camarades et ment à ses parents pour rentrer plus tard, prétend rester étudier à la bibliothèque pour plutôt traîner dans les rues avec ses copines. Lorsque monsieur & madame l’apprennent, les punitions commencent à tomber, mais comme un chien ayant pris goût au sang, Satine se délecte du sentiment d'enfin briser ses chaînes pour voler de ses propres ailes. L'adolescente ment, fume, piétine l'image de bonne fille que ses parents ont tant voulu lui faire porter, et iels ne peuvent rien faire pour l'en empêcher, car si d'apparence, Satine finit par se conformer au détour d'une nouvelle privation de sortie et autres menaces de pensionnat, c'est bien dans leur dos qu'elle s'adonne aux activités les plus scandaleuses. Ce qu'iels ne savent pas ne peuvent pas leur faire de mal, mais il y a quelque chose de jouissif à faire tout ce qui lui a été interdit pendant si longtemps, à savoir que leurs cheveux se dresseraient sur leur tête s'iels savaient qu'une école privée et une poigne de fer n'ont jamais empêché quiconque de voler trop près du soleil.

Drew, c'est la pomme empoisonnée, la tentation, la promesse d'une évasion et d'une liberté sans conditions. C'est du moins ce que Satine croit, du haut de ses dix-neuf ans.
Elle débute des études de droit après un A level obtenu plutôt mal que bien, mais le droit ne la passionne pas. Ce qui l'intéresse réellement, ce sont ses sorties avec ses ami·e·s et la complexité des liners qu'elle peut se faire. Soirées estudiantines, sorties en boîte, en after — on ne la voit jamais en cours mais toujours entourée, occupée à rire à gorge déployée avec sa cour de lionne. C'est comme ça qu'elle le rencontre. Drew est un ami d'ami, un bellâtre de huit ans son aîné au sourire charmeur et dont l'intérêt pour elle n'est jamais déguisé. Satine se prend au jeu, flattée, vaniteuse. Il l'aime elle en est sûre, et il a tout du bad boy dont on rêve à l'aube de l'âge adulte. Pour couronner le tout, il est tout ce que ses parents détestent, et Satine se délecte de leur mine pincée lorsqu'elle le leur présente. S'ils tentent de les séparer, c'est parce qu'ils ne veulent pas son bonheur, parce qu'ils ne connaissent rien à l'amour, eux qui ne se touchent plus, alors elle leur claque la porte au nez une énième fois et emménage chez lui.
Mais la réalité n'a rien du conte de fée. La reine de beauté devient Cendrillon incarnée, cantonnée à l'appartement et jalousement gardée par son prince devenu crapaud. Satine ne va plus en cours ni dans le logement hors de prix payé par ses parents, et une année après le début de sa descente aux enfers, les deux traits rouges luisant sur un test de grossesse scellent son destin.

Satine passe deux mois à redouter le moment où il lui faudra l'annoncer. Les yeux rivés sur son ventre encore plat, elle prie pour que ce bébé ne voit jamais le jour, pour qu'il disparaisse, pour qu'il ne vienne pas tout gâcher. Mais la grossesse perdure et bientôt, la place prise par le fœtus se fait remarquer. Satine se confesse, et comme elle l'imaginait, Drew est furieux. Ses maigres espoirs de recoller les morceaux grâce à cet enfant s'effondrent, alors Satine, le cœur brisé, retourne chez ses parents la queue entre les jambes. Ni les larmes, ni la promesse de ce petit-fils ne sauront les émouvoir.

I told you so, that's what my father said when I came home five months into pregnancy.


Si monsieur et madame avaient jusqu'à maintenant continué à verser de l'argent à leur fille en nourrissant l'espoir qu'elle revienne un jour dans le droit chemin, la découverte de cette grossesse enfonce le dernier clou dans le cercueil de leur foi. Les comptes en banque sont gelés, Satine priée de repartir, d'assumer les conséquences de ses actes. Leurs mots la hanteront autant que la violence de ceux de Drew, mais son deuil d'eux était déjà fait.
Satine n'a plus personne, alors elle n'a d'autre choix que de retrouver son crapaud dans le donjon où sont enterrés ses rêves d'avenir et ses caprices d'adolescente. Drew aussi, lui rétorque qu'il l'avait prévenue, mais il la reprend quand même. Qui renoncerait à sa domestique personnelle, à sa jolie poupée dont l'unicité est étouffée par une relation anxiogène et pesante ?
Le petit Jamie naît en 2002 dans de bonnes conditions, mais son arrivée s'accompagne d'un violent épisode de baby blues. Satine pleure, regrette de ne pas avoir mis un terme à cette grossesse, et Drew ne bouge pas le petit doigt pour prendre la relève lorsque le manque de sommeil et l'impression de ne pas être à la hauteur terrassent la jeune mère. Il est de plus en plus odieux, agressif, accusateur. Satine hausse le ton lorsque les cris de rage du père se tournent vers le bébé, et dans un élan de détermination, elle file chez ses voisins pour téléphoner à la seule personne qui pourrait être susceptible de l'aider.

Marlene, marraine la bonne fée, ouvre les portes de sa demeure à Satine et à son fils, seulement âgé de six mois. Jamie est un bébé calme, un gros dormeur que l'on entend peu, comme si ses grands yeux bleus avaient déjà perçu la dangerosité de ce père si vite mis en colère.
Marlene n'a plus d'enfants à charge, mais elle sait comment prendre soin d'un tout petit quand Satine se sent dépassée. Enfin, elle peut se reposer sur quelqu'un et se décharger un peu de cette culpabilité dévorante à voir son fils attendre après elle des choses qu'elle est incapable de comprendre. Satine apprend à aimer son fils, elle panse ses plaies et retrouve ses appétences perdues aux mains voraces de ce petit ami destructeur.

Marlene lui fait découvrir le milieu de la mode dans lequel elle est reine. Satine devient son assistante, elle l'observe diriger d'une main de maître la conception de vêtements d'envergure et s'acoquine par la même occasion avec un jeune maquilleur. Darcy la fait rentrer dans son univers, devient l'ami avec qui Satine ressort pour la première fois après la tombée de la nuit. Leur relation coule de source tant et si bien que même Marlene encourage sa filleule à se laisser tenter. Satine ne voit pas de mal à saisir l'opportunité, heureuse d'avoir trouvé quelqu'un qui la voit et la respecte, l'encourage à se lancer dans une école de maquillage pour vivre de ce hobby délaissé à force d'insultes crachées par la bouche de Drew.
Marlene paye, soutient, joue les anges gardiens et les nanny pour Jamie tandis que Satine éclos comme un bourgeon au printemps. Elle décroche son diplôme, lutte pour se faire une place dans ce milieu élitiste qu'est le maquillage, mais petit à petit, les contrats s'enchaînent. Maquilleuse dans une pièce de théâtre, puis à la fashion week, bookée par une actrice de télévision puis embauchée sur le tournage d'une série, Satine provoque les opportunités et ouvre sa chaîne de makeup sur youtube en 2010. Les vidéos de Satine HSG percent à de nombreuses reprises, la propulsant dans les tendances du moment et lui ouvrant de nouvelles portes dans son milieu. Les conseils de Satine deviennent incontournables, et ses vidéos tutos inspirent de nombreuses gamines à tenter des maquillages rocambolesques et osés sur leurs visages juvéniles.

Satine débute un nouveau chapitre de sa vie. Très demandée, célébrités comme plateaux de tournage se l'arrachent, si bien que Satine peut désormais faire la fine bouche. Elle oscille entre glamour et maquillage créatif, découvre le monde du drag, donne ses propres masterclasses. Son nombre d'abonnés grossit, et sa vie personnelle rayonne. Jusqu'à ce que Darcy la demande en mariage.
Darcy n'a jamais été ne serait qu'une once de ce que Drew était, pourtant Satine redoute d'être faite prisonnière, de voir le fruit de son labeur arraché de ses mains. Elle prétend ne pas pouvoir faire cela à Jamie, mais en réalité, c'est sa peur a elle qui lui fait rejeter la proposition. Darcy est déçu, mais il l'aime. Leur couple subsiste.

It's difficult to be a mom. I did my best and I don't think it was enough, but I tried anyway.

La relation de Satine avec son fils n'a jamais été simple. Le bébé si placide devient un enfant angoissé et un adolescent en colère. Son père ne l'a jamais reconnu, sa mère n'a jamais voulu en parler, alors Jamie est convaincu que Satine a sacrifié son couple pour faire fleurir sa carrière. Leur relation est conflictuelle; Satine est trop présente ou elle ne l'est pas assez, étouffante ou trop distante, jamais comme il faudrait. Il a vingt ans lorsqu'une dispute secoue le domicile familial. Jamie claque la porte, Satine regrette ses mots. Elle rompt avec Darcy dans la foulée, ne voulant plus se traîner le fardeau d'une relation qui ne lui apporte rien.
Satine se retrouve toute seule, alors elle se réfugie dans le travail. Deux ans d'inquiétude et d'incertitude, où Jamie ne lui écrit que pour lui demander de l'argent ou une faveur. Satine se sent plus portefeuille que mère, mais ça lui passera se dit-elle. Un jour, il aura besoin d'elle et viendra la chercher, et ce jour là, elle ne le mettra pas à la porte comme ses propres parents l'ont fait. Mais Jamie ne revient pas.

I love women. I'm not affraid to say it out loud. I love women, it took me some time to figure it out but I'm glad I did. It blows my mind how happier I am now.

Satine pensait aimer Drew, elle pensait aimer Darcy, mais aucun amour ne saurait égaler celui qu'elle ressent pour la première fois en apprenant à connaître Claire. C'est différent, définitivement plus fort, teinté de douceur, de respect et de compréhension mutuelle. Satine n'a pas à feindre un mal de tête pour échapper à la corvée des ébats nocturnes, elle aime tout de Claire, en oublie même sa crainte de disparaître dans l'ombre d'un partenaire de vie suffocant. A quarante ans, elle découvre enfin l'amour le vrai, et comprend que ses précédentes relations n'étaient qu'une mascarade. Alors Satine se renseigne, lit, écoute, entre pour la première fois dans les milieux lgbt en tant qu'actrice plutôt que spectatrice. Elle ressent le besoin d'en parler au monde entier, et peut-être que ses stories engagées ne plaisent pas à tous, mais Satine ne veut pas cacher le bonheur qu'elle découvre dans les bras de Claire. Si ses publications peuvent aider d'autres femmes à se jeter dans le vide, alors elle aura tout gagné.

C'est parce qu'elle n'a plus de famille que Satine cherche à retrouver des lointains visages. Elle s'intéresse à ce cousin germain qu'elle a connu enfant, suit de loin ses aventures sans trouver le besoin de le contacter. Ce n'est que lorsque le décès de son oncle et de sa tante paraît dans la rubrique mortuaire que Satine voit l'occasion de renouer avec son passé. Elle garde l'article dans un coin de son bureau et se note d'en faire quelque chose lorsque le moment se présentera (comprendre : lorsque son emploi du temps le lui permettra.)