a midnight dreary (francis)

— sins of our fathers;

   Francis n'a jamais aimé Tissington. Il n'aime ni la verdure bruissante gonflée d'eau après les pluies, ni les vergers lourds de fleurs sous le soleil du printemps, encore moins le bucolisme séduisant des plaines ondoyantes où caracolent vaches et cerfs. Dans la maison de Susan et Richard Heaton, tout sent la naphtaline et la rouille. Mère a la pogne puissante et la gifle facile. Père se noit dans sa timidité maladroite. Des deux pourtant, c'est ce dernier qui est arrêté par la police un froid matin d'hiver. L'arrestation et ce qui s'ensuit font la une des journaux à l'échelle nationale. Richard Heaton est baptisé l'Ogre du Derbyshire par la presse. Le procès dure une éternité. Francis est envoyé à la barre à une occasion, chétif, tremblant sous son pull élimé, le regard d'un animal pris dans les phares d'une voiture. Des mois plus tard, le verdict tombe: perpétuité pour l'Ogre, bon débarras. On pleure ses victimes, on braque les caméras sur l'épouse du monstre et son rejeton, puis en un clin d'œil, tout le monde passe à autre chose. Ne reste qu'eux, condamnés à ruminer avec les fantômes et des péchés qui ne sont pas les leurs, seuls dans la maison de Tissington, le fils et la mère à la main dure de bagues. “You have your father's eyes.”

— I rattle your sticks, I rattle your bones;

“Coffee goes great with sudden death.”
― Gillian Flynn, Dark Places
   Les nouvelles qu'il a publiées et la victoire à un concours lui ont obtenu une bourse pour étudier à Londres. À sa majorité, Francis entame les procédures pour changer de nom. Il troque le Heaton de sa naissance pour le Duvall dont il signe depuis toujours ses manuscrits. Une allumette de plus pour brûler le pont qui le relie à son père. Il déteste la proximité physique qu'il partage avec celui qui l'a enfanté, porterait volontiers un masque pour gommer l'hideuse ressemblance. Malgré le nouveau nom, il arrive qu'un journaliste se pointe sur le pas de sa porte à chaque date d'anniversaire de l'un des meurtres – foutus rapaces. Il les envoie paître sans distinction, balaye les interrogations cinglantes ( “Comment avez-vous pu ne rien suspecter? Vous deviez forcément vous douter de quelque chose.” “Votre père est-il une source d'inspiration pour vos romans?” ) Francis ne dort plus depuis l'adolescence et possède la tête qui va avec. La nuit, il écrit ou rôde dans la ville tel un spectre. Il se nourrit au café et aux agrumes, toujours une odeur de clémentine dans son sillage et sur les doigts. Ses écrits connaissent un engouement inattendu, l'un de ses romans – la Maison de l'Alchimiste – est même adaptée en mini-série. Voici trois cent soixante-quatorze jours depuis son dernier titre en librairie, trois cent soixante-quatorze jours qu'il n'a pas écrit une ligne: l'éditeur s'impatiente, les cartouches d'encre s'assèchent, les pages restent résolument vierges. Sa muse s'est envolée, elle rechigne à revenir.