I mean, look at me Look at the length of my hair, and my face, the shape of my body - Lys

Frissond'automne



Enfermée dans ses pénates, c’est le cœur en l’air et le rouge aux pommettes qu’elle avise les fines gouttes qui s’éparpillent sur le verre. Le myocarde au bord des lippes, elle esquive cette foutue rose rouge. L’écho amer d’un passé révolu. Le satané point d’interrogation sur fond de putain de pourquoi et de comment. Une perle d’eau trace sa route en chute libre vers l’inconnu et en écho, une pétale s’écroule en silence sur la table de chevet. Elle a gouverné tout son univers autour d’un mensonge doux-amer. Le pour et le contre s’entrechoquent dans le fond de ses méninges et la bleue jauge le vert un court instant. L’homme affalé entre ces draps est un inconnu. Un étranger qui sillonne leurs rivages, bravant leurs tempêtes d’un coup de revers. Il miroite comme un foutu mirage. Les questions continuent sans cesse de se bousculer. Comment, pourquoi et où ? Elle cherche, Lys, dans les brides de ses réminiscences l’origine du trouble qui s’abat sur eux depuis si longtemps qu’elle ne parvient plus à compter.





Elle était si sûre d’elle, Lys. Les billes de sels roulent sur ses pommettes rosies par le gel glaçant de l’amertume. Ses prunelles jaugent les doigts minuscules du fils. Il aurait dû être leur alliage. Leur ancre au milieu du rivage. C’est à peine s’Il ose poser un regard sur lui. Sur elle. Sur eux.

Les convives applaudissent avec ferveur. Il est là, drapé dans sa splendeur et ses soucoupes d’un bleu océan lui chavirent le cœur. Malgré la colère, il déchaîne une tempête au creux de ses reins. Elle lui en veut, pour ça, Odalys. Ses paumes délicates frappent l’une contre l’autre pour joindre des applaudissements aux échos d’hypocrisie. Ses prunelles s’aventurent sur un point fixe lorsqu’Il la mentionne, sa pogne s’aventurant dans sa direction. Elle n’est qu’un putain de trophée. Son dommage collatéral. Sa langue se fait lourde comme le plomb alors qu’Il s’avance vers ces étrangers. Son sourire et ses politesses sont comme un coup de poignard. L’image du visage aimable à la mâchoire saillante se percute à celle, froide comme l’hiver, du mari qui passe le pallier de leur foyer. T’es rien qu’un odieux mensonge, Slev. « Votre mari est tout à fait charmant ! » Le coup d’œil balancé à la rombière vautrée à sa droite est teinté d’amertume. Pourtant, la moue se fissure en un sourire aux allures sincères. « Oui, j’ai beaucoup de chance ». Va crever. Elle insiste et minaude, la blonde. Les onyx jaugent la légère rougeur dans les lobes, les lippes qui s’affaissent et les doigts qui rajustent la crinière. Des comme elle, Lys en croise à chaque coin de la ville. À chaque événement où son cher et tendre la traîne malgré-elle. Et tu l’as baisé, celle-là, Slev ? Ses élucubrations ne sont plus qu’un bourdonnement lointain. Il arrive, son parfum capiteux lui chatouillant les narines. Lys joue la parfaite épouse, mime des intentions de tendresse au mari, le couvrant de ses compliments dont elle ne pense rien.

Car plus rien n’a de sens, désormais.
Même pas eux.






Le début de sa fin commence par une simple phrase. Un déclencheur commun à toute dramaturgie moderne. « J’ai rencontré quelqu’un. » Le flegme maternel se confronte à l’espoir du nouveau, du beau, de l’inédit. La jeunesse naïve qui fait palpiter le myocarde d’un cerveau qui se croit savant. Elle voit juste, Lys. Elle en a la certitude des jeunes nymphes se drapant dans leur douce chevelure de poupée en soufflant leur champ de sirène.. « Oh, vraiment ? » Le ton est aussi froid est indifférent qu’il se doit de l’être. Une vague point d’intérêt poli vient ponctuer la question qui n’en est pas vraiment une. Elle le sait, Lys. La mère a vu le petit manège de l’aînée depuis belle lurette. Se pavanant dans cette lenteur caractéristique, elle daigne enfin rabaisser le journal pour adresser un coup d’œil à sa fille. L’énorme horloge fait claque son aiguille à chaque seconde, étirant le temps jusqu’à grossir l’angoisse latente.

Droite comme un I, la fille jauge son aînée, ses dents venant malmener ses lèvres. « Ne fais pas ça, tu vas les gercer. Le photographe doit venir demain pour le portrait. Le nôtre ne convient plus. » C’est tout ? Ses paupières se plissent légèrement et ses doigts viennent triturer l’argent de sa fourchette. C’est à peine si elle parvient à avaler quoi que ce soit. Les coups de dents d’argent scindent le silence de plomb et d’une brève œillade, la grande brune jauge le père. Lui ne dit jamais rien. Alors à quoi bon. « Maman, est-ce qu’on peut simplement discuter de ce que je viens de vous dire, où est-ce que je quitte la table maintenant ? » L’agacement envenime le ton.

Elle en a conscience, Lys. L’affront ne passera pas outre mesure, mais elle a ses raisons. Elle l’apprécie vraiment, Lui. Cette fois, elle est sûre d’elle. Au diable les prétendants qui se pavanent autour d’elle en priant pour arracher à ses fines lèvres délicates des louanges dont elle ne pense rien. Ils l’ennuient. Pas Lui. Elle sent encore le parfum de cette rose séchée planquée entre les couvertures d’un de ses romans favoris. Un souffle craché par des nases lui donne le sentiment d’être un torero prêt à être sacrifié sur la scène d’une corrida. « Son nom ? » La voilà, la question à un million. Celle tant attendue au tournant. Personne n’est jamais digne de se faufiler dans leurs rangs. Passés à la loupe, les candidats semblent toujours triés sur un volet d’inégalité. Les lippes se dissolvent presque sous le souffle pour divulguer à voix haute le nom qui changera à jamais sa misérable destinée.





Les disputent s’enchaînent. La mère déteste le Jules. Non, pas lui. Ce qu’il représente. À ses yeux, rien de bien glorieux. Elles hurlent dans les corridors de l’édifice immense. La fille proteste et défend avec fermeté celui qu’elle jure d’épouser. Le mirage d’une gloire passée enlaidie les traits de la matriarche. La comtesse du rien du tout se pavane dans sa grande mansuétude, aussitôt la vérité dévoilée. Un livre est posé délicatement sur le meuble. Rare et désiré des plus grands collectionneurs. Comment un homme capable de lui offrir un tel cadeau peut-il être le mauvais bougre dont elle l’accuse ? Un vaurien prêt à tout pour leur foutue fortune ? Elle n’y croit pas, Lys. Elle s’y refuse.



Elle étouffe, Lys. La belle se soustrait aussi vite que possible à la mascarade. Sur son sillage, elle laisse une traînée de sourires charmants et charmeurs, mais ses talons claquent avec la frénésie de celles qui fuient. Ses boucles longues s’éparpillent sur ses épaules et le faciès se détend dès lors qu’elle passe la porte de service. De l’air, vite. Malgré la chaleur de l’été, ses poumons semblent se gorger de fraîcheur et d'oxygène. L’expression figée de poupée docile se transforme en moue revêche. Elle en a foutrement marre. « Pensez à la bonne cause », qu’elle n’a de cesse de leur dire, la marâtre. Juste avant d’aller se vautrer dans ses draps au coût d’un salaire de smicard. La bonne blague. Leur trompe l’ennuie enfonce le siens. La belle plaque son dos contre la pierre froide, ses talons faisant craquer le gravier. D’ici, ses prunelles avisent une mer d’un calme olympien. Elle n’en peut plus, des vautours qui la courtisent comme on se jette sur le plus beau lot un jour de solde. Des m’a-tu-vu aux miasmes insoutenables d'eau de Cologne de luxe. Des sourires sur teintes lisses et paupières fardées. Des discours au relent d’hypocrisie bavés par de vieux riches désireux de conserver un flambeau éteint depuis des décennies. Les graviers grincent à nouveau et elle capte le son d’un pas rageur. Ses iris dansent des vagues lointaine à un océan profond. Ce regard, elle n’a jamais pu le voir ailleurs. Elle s’en souviendrait. L’homme qui se dirige droit vers sa planque semble ne rien voir si ce n’est un point fixe et imaginaire. Il est diablement beau. Peut-être même trop. Il n’est ni aussi immense qu’un lord anglais ou aussi large d’épaules qu’un fier germanique. Et pourtant, son aura l’étouffe presque. Comme un insecte attiré par la lumière, trop curieuse d’entendre le son qui pourrait sortir de cette jolie mâchoire acérée, la poupée jauge l’inconnu. Il est un peu plus vieux qu’elle, mais rien de bien dramatique. Des croulants à l'intérieur ont bien tenté leur chance avec elle. Le zippo qu’il semble vouloir faire fonctionner semble lui faire faux-bond. Alors, inconsciente de déclencher son futur cataclysme, elle s’approche Lys. Ses doigts fins tendent un briquet délicat à la gravure unique et ses pommettes rebondissent au-dessus d’un sourire malin. «  Je vous donne du feu, vous me dépannez une cigarette ? » La sotte a oublié son mentaux dans sa course. Et puis pourquoi pas ? Sa main libre s’élève dans l’air vers celui dont elle apprendra l’identité plus tard. « Je m’appelle Odalys. Et vous ?»