you can call me Susan if it makes you happy

High Risk High Reward •••

Clac. Clac. Ce son qui poursuit les semelles de ses mocassins vernis, alors que l’homme pousse la porte de l’auberge. Une entrée discrète qui soulève tout de même l’interrogation. Il a ses traits européens dont on n’a pas de mal à identifier, mais sa vibe semble venue d’ailleurs. Un accent mécanique, comme si on l’avait forgé pour être universel. Il est rude, mais assuré dans le miel de sa voix. On pourrait détester, mais en vérité ça fonctionne et c’est sans doute cela le plus déroutant. Car on ignore tout et il faudra plus qu’un simple regard pour comprendre l’individu. Une main propre qui se pose sur le comptoir rustre devant lui. Il détonne encore une fois, peau satinée comme un bébé. Loin des mains travailleuses, il faudra la toucher pour ressentir le grain des années. Il évoque le désir d’avoir une chambre et sort de la poche de son veston quelques livres enserrés dans une clip en argent brossée. Qui paie comptant de nos jours ? Personne. Sauf lui, peut-être ou peut-être pas vu l’endroit…

Veston bas de gamme balancé sur les draps. Ses doigts qui remontent lentement les manches de sa chemise sur ses avant-bras. Dehors, le ciel pleure ce qui le fait souffler l’inconfort de l’endroit. Il aime le soleil, celui qui réchauffe son cœur plus naturellement qu’il ne sait le faire. Un monde loin de sa patrie, pourtant toutes les pistes l’ont mené jusqu’ici. Râle coincé dans sa gorge. Félin qui prendra son temps pour mener sa proie entre ses dents. Il l’a remarqué la belle qu’on envoi chercher, mais il est trop tôt pour qu’il déploie ses cartes, dévoilant un jeu marqué par le vert de l’argent. Il saura la mettre en cage puisqu’elle n’est pas la première à tomber sous son regard de prédateur. Ses orbes observent une larme roulée sur le verre de la fenêtre. Il se revoit ce fameux jour où le sifflement d’une âme meurtrie bousculait ses pensées.

Albert. Jeune homme perdu dans les méandres de ses expériences de vie. Une toux siffle l’hymne de la maladie, alors qu’il détourne la tête pour la regarder. Une mère. Sa mère ? Il sait que ce n’est pas le cas, mais il ne dit rien. Il joue le fils qu’elle a élevé parce qu’il est ainsi. Froissant son uniforme de policier, il s’assoit près d’elle en enlaçant leurs doigts dans une étreinte déployant leur amour sans une parole. Son sourire se veut chaleureux, tendre, mais il est surtout une ligne informe qu’on ne peut d’écrire. Elle sait. Oui, cette femme sait qu’il ne va pas bien, que ses pensées sont loin devant lui et son visage trahi un soupçon de questionnement. Il a peut-être vu trop de mort depuis quelques années, il ne s’aurait pas dire, mais la vingtaine finissante et des visites devant les pierres tombales blanches de la patrie plus nombreuse que son âge, il faut dire que ce n’est pas rien. D’ici peu, elle rejoindra le champ des disparus. Albert n’est tout simplement pas prêt. Un brin trop rêveur. Idéologiste. Ses doigts se referment avec plus de poigne qu’un cobra. Il reste tout de même impassible, laissant les larmes du ciel couler pour lui. […] La honte courbant ses épaules, une tête qui se tourne le temps de regarder ailleurs, alors qu’on glisse dans sa poche quelques liasses. Il se dégoûte à cet instant. Premier pas vers la flétrissure. Le soir, il rentre chez lui, pose son regard sur les médailles et portraits de lui en uniforme – militaire, flic – fierté figée sur le papier ciré. Il est désormais bien loin ce sentiment, alors qu’il sort une canne de café vide et y fourre les billets. Une cagnotte qui prendra de l’ampleur avec les jours, semaines, mois. Âme déchirée. Ailes brisées. Il ne voit plus la porte de sortie. Ne trouve plus sa place. Chien docile qui détourne le regard encore et encore. Jouet pour les caïds qui se moquent de lui. HA. HA. Un flic moue. Un flic ripou. Amusant. Surtout désolant. Combine qui le ficelle, on lui crache à la gueule lorsqu’il veut aider son prochain, remonter son estime. Un flic blanc c’est simplement de la racaille. Personne ne lui donne cet espoir de sauveur. Il finit donc par dégringoler, se perdant dans sa coquille, devenant quelqu’un qu’il n’a jamais espéré devenir. Les coups se font violents, trop violent pour le laisser repartir aisément. C’est la seconde fois que son corps se brise. L’argent qu’il cumule pour aider sa mère lui servira pour payer ses propres frais médicaux. Pitoyable. Un ressentiment qui le poursuivra, le remettra en question. Après des années au service de son pays, il se tourne vers le privé. Ne plus servir un pays qui le détruit, mais ces personnes qui en ont véritablement besoin.

Secouant la tête, il coiffe ses cheveux en un chignon et laisse les mèches rebelles tomber en disgrâce autour de son visage. Plus décontracté qu’à son arrivé, il quitte la chambre qu’on lui a donné. Quatre à quatre il descend pour rejoindre le bar. Whisky sec. Billes roulantes sur la silhouette de la femme : « Bonsoir. »