MITHRIDATE ❖ one pill makes you larger and one pill makes you small

Il y a ma psy, elle ressemble à Boris Johnson.

Je l'ai rencontrée aujourd'hui. 'Parait qu'on commence la thérapie demain. Ça va mieux, j'ai mangé ce matin ; là, je bois une Monster. C'est Jamuqa qui me l'a ramené du distributeur, il faut le passe-droit bleu. Il m'a passé un stylo et des feuilles pour t'écrire aussi. Ça ne m'a coûté que trois photos de mon cul.

Tes seins me manquent.

Ce que je donnerais pour foutre la tête dedans. Quoique. J'ai pas pris de douche depuis deux jours. J'pense j'fais tripper un anosmique là.
Il n'y a pas grand chose à faire, j'm'emmerde. Les murs ont une couleur vert d'eau nauséeuse. J'ai commencé à taguer dessus, ça me déprimait trop. (J'ai volé le marqueur à Jamuqa). Dans le couloir de ma chambre, les fils pendent des jointures. J'ai pas encore le droit d'aller plus loin ; mais j'ai vu par le hublot, les pièces communes ont l'air mieux. Ça me rappelle un peu l'appart où j'ai grandi. La peinture s'écaillait pareil dans les couloirs et il y avait les marques de chaussures dans les escaliers. Le courant sautait souvent, mais Papa avait détourné un peu les câbles pour qu'on en ait quand même. Vava lui il décorait bien, il avait brodé un beau tapis qu'on avait accroché sur le mur.

J'sais pas, la désintox' ça me rend toujours nostalgique. Je crois que c'est parce que les souvenirs ont tendance à revenir un peu plus. (Peut-être j'ai pleuré parce que je viens de faire tomber mon stylo, tu ne sauras pas). Papa était professeur de lettres, Vava travaillait dans le nucléaire. J'suis vraiment con·ne d'avoir évité la question la dernière fois qu'on s'est vu. Excuse-moi.
Du coup, oui ; j'avais deux adelphes. Nikita que tu connais et Raïssa que tu as vu en photo ce jour-là. On est des triplés, d'où la ressemblance.

Parler avec toi me manque.

On a tous fui vers Londres quand Papa et Vava se sont fait emprisonner. À cette époque, Vava dormait plus qu'il ne marchait ; j'avais arrêté les cours pour m'occuper de la maison. Nikita jouait les petits cons (je veux dire encore plus que maintenant) et Raïssa, elle, elle voulait devenir actrice. Du genre Alla Tarassova avec des cernes d'insomniaques à la place des joues rebondies. Elle a toujours eu du mal Raïssa, avec la réalité et le monde ; si j'étais une connasse cynique, je taillerais qu'elle était trop gentille et pure. Mais j'ai vomi mon restant de misogynie hier soir à 22h. La vérité, c'est que je pense qu'elle n'a pas bien supporté la perte de nos pères et puis le Foster Care a fini de l'essorer. Enfin, j'dis ça pour me rassurer : j'suis autant perdu·e qu'à l'époque.

Nikita s'est retrouvé dans une famille honnête où il a pu continuer l'école. Moi, j'étais chez des enfoirés de tories ; ils ne me laissaient pas voir mon frère quand son cœur a commencé à lâcher. Alors, j'ai fugué. À y repenser, j'aurai pu faire ça légalement. Mais je crois qu'on lit mon rapport à la loi sur ma gueule hein ? J'avais seize piges, toutes mes dents et ma poitrine entière. J'connaissais les blocs de l'est, je croyais pouvoir tout surmonter. Sauf que la nuit, elle n'attrape jamais froid. Ni aux mains ni ou que ce soit. J'ai fait des trucs que je me pardonne que sous morphine et j'ai vécu des choses que j'oublie même pas sous morphine. Raïssa a eu son lot de crasse aussi, elle m'a même giflé une fois. De toute façon, demande à Karaba ; il n'y a pas de sorcières, que des femmes incomprises.

Et putain, Dieu sait que je l'ai pas comprise.
D'abord, Vava, puis Papa. Ensuite, ça a été Nikita. Alors, Raïssa s'est sacrifiée pour le sauver. Puis après, ça a été moi avec mon accident.
Il y a tout le système solaire en rétrograde par chez nous. C'est ce qu'on risque à se fier à un ciel remplit d'étoiles mortes.
On est des putain d'oiseaux de malheur.

T'embrasser me manque.

Tant que je couche mes péchés sur le papier : j'ai volé quarante balles à Sean quand on s'est rencontré. Pour ma défense, je pensais pas qu'il allait me sauver la vie. Sinon, je lui aurai volé bien plus. Avec, j'ai acheté une palette de maquillage pour faire croire à Afsaneh que j'étais malade. J'avais besoin d'un toit, ça faisait deux jours que je dormais pas (désolée pour ta boite de céréale Afsaneh, j'avais faim). J'ai volé une veste à Mau pour aller en boîte et 30 balles à Cal pour ma conso une fois et là je lui ai revolé 50 balles avant de partir en désintox'. J'allais pas passer un mois sans le câble et dans une chambre avec un coloc, j'ai assez donné. Pour le reste, j'ai quasi tout le temps remboursé et les autres ce sont des fils de chien.

J'me dis que ça renversera le mauvais sort. On s'accroche à ce qu'on peut quand on est enfermé dans une chambre sans poignet de porte.

Tu me manques.

J'ai dit ça qu'à Raïssa, à l'époque où je parlais aux nuages comme si elle était encore dedans. La première fois qu'on s'est vraiment parlé, c'est Sean qui me demandait de te raccompagner parce que t'étais trop bourrée. Puis, après ; tu avais rebu et tu avais redemandé à ce que ce soit moi. Toujours sobre, j'étais ; tu sais que je déteste l'alcool. Boire avec toi me manque. Alors, j'aurai pas bu parce que t'es pas là. Je sais qu'ils m'en voudront tous, qu'ils diront que je suis irrespectueux·se. Ma bite, oui ; et venir à ton enterrement défoncé·e, ça ne l'aurait pas été peut-être ? Et puis quoi ? J'aurai regardé tes yeux vides, les miens légèrement froncés pour voir dans le flou. Puis j'marcherai avec la dose de morphine d'un mort dans les veines. C'était moi dans tes yeux la semaine dernière, c'était toi dans mes veines la semaine dernière.

Et puis l'autre qui dit que l'amour est mort. Et moi, et bien, j'ai toujours pas trouvé de contre-exemple.

Et ils y connaissent quoi à la mort d'ailleurs hein ? Parce que je pourrais pas les rassurer en disant que tu vivras bien de l'autre côté. La seule fois où j'y ai été, j'ai été réfusé·e à l'entrée. J'sais qu'il n'y a rien de l'autre côté. Le paradis n'est plus là, 'paraît qu'il n'est plus de saison. J'te souhaite même pas de revenir, regarde l'état dans lequel je suis.
Ça gratte dans les murs. Des rats ? Je ne penses pas. Plutôt des asticots. J'suis mort·e ? Non. J'ai toujours mal. La ceinture gravée dans les côtes, l'armature dans les flancs. Je touche du bout des doigts les cicatrice et leurs dents. Plus de froid, plus de chaud ; à peine ma propre peau, c'est tout ce que je ressens dessus. Elle dessinent des stries, j'peux encore compter les agrafes. La peau se recroqueville dans un patchwork de peaux brûlées. Ça me gratte comme dans les murs. Et feu ma putain de jambe. Elle me parle encore, par intermittence, des picotements qui me grimpent jusque dans le talon. Alors, je râcle la chair avec mes ongles rongés par la nervosité. L'épiderme gigote et tout le restant de cuisse bouge. Les lambeaux de chair s'incarnent dans la cicatrice : c'est comme avoir une troisième peau qui pousse en-dessous de la première. C'est dégueulasse, en bref. Et moi, j'ai essayé d'encrer ça avec un gigantesque chrysanthème. Au revoir la peur, bonjour les fleurs. On admire l'œuvre, on imagine la douleur. Alors qu'est-ce qu'on retiendra de nos histoires quand les lumières s'éteignent ? Pas que t'étais la première à mon chevet quand on m'a un membre, pas que c'était chez toi que je préférais dormir. Est-ce que tu le savais même ? Que j'avais besoin qu'on se parle pour que tout ça ait du sens. J'en ai marre de faire semblant.

Mais j'étoufferai pas ta peine avec ma culpabilité.

C'est pour ça que je suis là. Si je devais te dire adieu, j'voulais pas le faire défoncé·e. J'pensais que c'était à cause de la drogue que j'arrivais pas à pleurer. Tu ne sais pas à quel point j'ai envie de te chialer. Parce que tu mérites qu'on te pleure, parce que c'est comme ça qu'on doit se rappeler des gens formidables askip'.

Sauf que là, à part pour un stylo : il y a rien qui sort.

Je rechuterai en sortant, après un jour, une semaine, un mois. Je ne te ferai pas l'affront de jurer l'inverse. J'arrête les promesses, les mensonges et la triche.
Je le sais parce que je veux pas te dire adieu. J'suis pas encore prêt·e, j'me suis trompé·e.

Je t'aime. J'déconnais pas la dernière fois qu'on s'est vu.

J'reviens Jamuqa gueule pour son marqueur. J'garde nos souvenirs au chaud en attendant. J'vais aller lui en mettre une, un séjour en quartier disciplinaire me détendra. Puis, faut que je fasse le tour du proprio, histoire de connaître la marre. Je reviens vite

À demain, Orla.