TEARS OF THE KINGDOMkeufs being keufs, mention de sang, de stress-post-traumatique, de mort d'un enfant, de détention d'enfants, d'abus policier, vulgarité, enfance dysfonctionnelle, trafique de drogue, d'armes.Échec et mat. Le premier, le voulu, le déserteur, rayé de la lignée comme une gueule éliminée d'une liste noire. Le futur-couronné tombé ; bien volontiers. Pour
l'abandon de la cour des plastronnades, bâtardise si peu subtilement déguisée en un jeu théâtral comblé de resquilles.
L'abandon. Du champ de bataille des impossibles. Ca n'a jamais été sa guerre, la politique des bons maux, les sourires teintés d'hypocrisie. N'a jamais été sa destinée. Arthur, le bon ? Il a capitulé devant la marche. Le royaume pareil à une faune, s'écrasant sous ses pieds d'argile. L'a tendue comme un mouchoir usagé à
Lancelot, la gorge serrée, sa couronne bancale faite de papier-mâché. Gamin apeuré qui a regardé son ainé d'un air effaré.
"Pourquoi tu pars ? Pourquoi tu m'lâches ?" Et maintenant, quoi ? La question se pose-t-elle vraiment ? "Viens avec moi." Mais les mots ne sortiront pas, rien qu'une épaule tapotée, et un long regard qui s'égare.... L'abandon, la lâcheté du grand-frère au naufrage incendiaire d'une famille aux pensées carabinières. Au nom d'une justice fissurée, aux hurlements d'une guerre plus palpable ; celle de trouver sa route. Le presque-roi s'est enchainé aux maillons des roussins. Quitte à vivre de sang, qu'il soit visible sur sa plaque, sur ses mains, et sur ses flancs.
«
09 sur fréquence. » La radio finit de grésiller à la fin du call. Et c'est une explosion pyrotechnique en un cœur naufragé, le jeune officier soupir, si jeune, déjà si fatigué. Le ton de Blackwell s'est accommodé à celui de ses coéquipiers. Morne, machinal. Le matricule brodé dans le crâne et sur la plaque du vestiaire stipule d'une nouvelle identité. Comme une étiquette scotchée sur un objet, un fruit,
une chose. Rien qui ne puisse tellement respirer. Rien qui ne puisse vraiment
exister. Rien qui ne s'appartienne à soi. Rien qui ne serait jamais
libre.
«
09, bureau du Commissioner, tout de suite. »
Encore un blâme ? L'idée lui fait décrocher un sourire railleur. Pourtant, rien de bien drôle. Au fond, Arthur rit de lui même. En a conscience. Que ce merdier est affreusement pathétique, qu'accumuler les conneries sur son dossier et chercher ses supérieurs ne lui réussira pas mieux, que son
nom ne va pas lui sauver le cul à chaque fois, que la boucle infernale qui se rejoue inlassablement sous ses yeux finira bien par le rendre taré pour de bon, un de ces quatre. Les poignets enchainés à l'image symboliquement crade d'un uniforme bleuté peigné d'hémoglobine. La suite de mauvais choix, mais jamais l'envie qui devrait aller avec : celle de faire machine arrière et de trouver de nouvelles solutions plutôt que de continuer à foncer tête baissée jusqu'à-ce que mort s'en suive. Les regrets.
déjà ? De tout, tout l'temps, et puis rien à la fois.
On oublie tout, on reprend les mêmes et on recommence. Libéré du dragon, de la couronne, du royaume. Aussitôt emprisonné ailleurs, à une autre forme d'asservissement. Pour combien de temps ?
Oh, il n'a jamais été question de fuir cette vie de merde là.
Un énième soupir du p'tit jeunot furieux, les talons des bottines tactiques qui trainent un peu trop contre le bitume du parking. Une tape sur l'épaule qui le surprend. Mason. «
Allez, relève le museau, p'tit con. Je t'ai défendu comme j'ai pu, mais va falloir que tu chouines un peu, qu'tu dises que tu vas pas recommencer et blablabla. » Quoi de mieux qu'une taquinerie encourageante du vieil inspecteur pour aller mieux. Grand inspecteur qu'il est, devenu unique figure de bravoure parmi les fauves. Seule âme qui survive entre ces murs qu'il daigne à écouter un tant soit peu. Parfois. «
Sauf que j'vais recommencer, Mason. Il méritait que j'le foute au sol, c'est pas un ex-flic, pas un ancien collègue ; juste un enfoiré à qui on a filé une plaque un jour et qu'en a fait d'la merde. J'comprends pas pourquoi ils le laissent trainer dans nos pattes comme ça ? » Un regard qui en dit long, et n'entend rien.
On le prend jamais au sérieux, t'façon. «
Ouais alors ça ressemble pas trop à une réponse de quelqu'un qui va pas recommencer, ça, hm... ? Laisse moi parler à l'autre crétin, mais par pitié, te fous pas plus les hauts-gradés à dos qu'tu ne les as déjà, t'es suffisamment dans la sauce avec toutes tes merdes de ces dernières semaines. » Les pupilles roulent vers le ciel, et le jeune agent arrive devant la porte du boss, les crocs serrés.
Cloitré dans un véhicule de planque aux côtés de Mason, Blackwell grogne d'impatience tandis qu'il se balance mal à son aise sur le siège conducteur. «
Bon au pire si il sort pas dans trente secondes, on rentre, on flingue tout c'qui bouge et salut les cons, hein, ça fera un peu d'animation parce que là on commence sérieusement à se faire chier... » Un rire étouffé par la clope échappé au vieux, affalé plus calmement à ses côtés ; occupé à observer les lieux suspects à l'aide de ses jumelles. «
Alors non, on va pas faire ça du coup, p'tit con. Soi patient un peu, des planques comme ça tu vas devoir en faire des tas, et je serai pas toujours là pour te tenir la bavette, ou te retenir avant qu'tu te lances dans une de tes foutues conneries. » Le tout jeune inspecteur roule des yeux, comme à son habitude. La mâchoire serrée. Les mots qui filent sont acides. Le regard, amer. «
Boh, t'inquiète pas pour moi, j'serai viré bien avant tout ça. Déjà que j'ai le même badge que toi par manque d'effectif. Tu devrais pas faire ce que tu fais. » ... Hm ? «
Et qu'est-ce que je fais ? » Les mains se resserrent sur le volant. «
Tu te prends pour le père que j'ai pas. Mais t'oublies vite que j'ai un avantage sur toi ; j'ai aucune réputation à lustrer, au contraire, ça m'arrange pas mal de foutre la honte à ma famille. J'peux faire n'importe quoi que ça ne trahira jamais ce que j'ai toujours été aux yeux de tout l'monde. J'vois pas bien ce qui pourrait m'arrêter. »
Et dans un dernier sourire provocateur, Arthur claque la porte de la vielle caisse anglaise, les mains enfouies dans les poches de son hoodie noir et les bavures en perspective plein la gueule. «
Vous êtes vraiment tous les mêmes, hein ! » Froncement de sourcils et talons qui se tournent. Mason est sorti de la voiture, lui aussi, et le voilà qui hurle. C'est nouveau ça, il pensait que le vieux était incapable de réellement prendre les choses à cœur. C'en était même affreusement frustrant à force de travailler à ses côtés. «
De quoi ? » ... «
Il y a déjà eu deux 09 avant que tu débarques. » ... Et quel est le rapport avec la raclette ? «
C'est bien, j'en parlerai à mon clébard qui nous sert de partenaire, t'sais celui qu'est même plus keuf. » ... «
Tu sais que t'es un vrai p'tit con, toi. » ... «
Bah nan mais j'en ai rien à branler, quoi. Bon, c'est pas que notre petite conversation ne m'intéresse pas mais le but d'une planque c'est d'pas trop se faire choper à la base, et là on est quand même deux abrutis qui s'engueulent au milieu d'une ruelle. » ... «
Hmf, y a vraiment un truc avec le matricule... Les deux que j'ai connu avant toi étaient aussi deux gros cons. Ils se sont tous les deux fait virer comme des merdes. » Un rire réprimé, et Arthur commence à se diriger sur les lieux à petite enjambée, lui tournant le dos ; les mains enfouies dans son jean. «
Bravo. Ca en fera bientôt trois. Tu vas tenir une liste, peut-être ? »
Au beau milieu du petit conflit père-fils, les lumières de l'appartement surveillé s'illuminent, mettant un terme à la tentative de réponse du plus vieux. Un regard furtif échangé entre les deux hommes et le
10-24 est lancé aux autres unités à travers la radio. Le hurlement d'un enfant. Et la course contre la montre dans les escaliers de l'immeuble débute en trombe pour rejoindre le cinquième étage. La porte est enfoncée en un rien de temps. Et tout devient flou. Les souvenirs. Le regard de Mason figé dans le marbre d'une douleur viscérale. La vision d'horreur des gamins serrés les uns contre les autres au coin de la petite salle bordée de grillages, installés comme dans une cage sur-mesure d'un animal dangereux. Toute une tribu de petits, toute une bouffée d'innocents noyés dans la peur, claquant des dents. L'image à peine visible de l'un d'entre eux se faufilant à travers les barbelés dans l'optique de prendre la fuite, tandis qu'Arthur s'occupe de désarmer l'un des principal suspect. Et le coup qui part. Inattendu. Sourd. Non loin derrière lui. Pourtant le temps semble lui jouer des tours sur ses perceptions. La balle d'acier qui percute la chair. Tendre jeunesse. Pas la sienne. Il aurait préféré. Il n'a rien vu, ne l'a pas vu s'écrouler. mais peut tout imaginer parfaitement.
Mason a flingué le petit.
Consciemment, ou non, quelle importance, dans l'fond.
Bordel, Mason a buté un gosse. Et Arthur ne veut plus jamais se retourner. Mais c'est ce qu'il s'efforce de faire, le cœur figé dans un silence d'hiver, la gorge terriblement sèche ; lorsque les renforts arrivent et qu'il leur balance le suspect dans les bras. Les yeux restés figés sur le mentor échoué. Sur le presque père assassin-malgré lui. «
Bouclez-le, il a descendu le gosse devant nos yeux, avant que 09 le désarme. » Le mensonge amer hurlé avec conviction par le vieux le cloue littéralement sur place. Aucun mot ne sort. Rien ne vient. Il ne savait pas, avant. Que la trahison des hommes mauvais avait ce goût si singulier. De fer, de sel et de sang. Qu'elle percutait si violemment, comme une seconde balle venue le transpercer, lui, cette-fois-ci.
Pas lui. Tous les autres mais pas lui.
Pas toi, Mason. Putain d'ordure de merde.Arthur croit crever, comme la centième fois depuis qu'il est né ; et manque de s'écrouler en enjambant le cadavre du gosse de huit piges à l'entrée. L'inspecteur arrache son kevlar. En plein cauchemar, il n'entend plus rien. Plus rien que le bourdonnement des sirènes qui lui prennent la tête. Le blabla d'un
Sergeant qu'il bouscule en grognant un
"J'vais prendre l'air". Il se perd dans la ruelle. Aimerait tant rêver, là, maintenant. Tout de suite et pour toujours. De ces rêves affreux où l'univers imaginé dans lequel on se balade depuis des années se révèle n'être qu'une tromperie de plus à aligner sur un carnet de route déchiré. Mais de ces rêves desquels on se réveille un jour. Parce qu'ils ne sont pas la réalité. Parce que rien de toute cette merde ne peut être la réalité.
Il a quitté la satanée cité comme il l'a intégrée ; les dents serrées, les poings liés. Quelque chose s'est passé cette nuit là. Quelque chose a changé. Dans sa tête, dans ses pupilles éclatées... Il l'a su, le sait, le sent. Gronder dans ses entrailles. Il n'en fera jamais rien de plus que le reste. Tout juste un regard en arrière tandis qu'il perçoit l'ombre de la couronne pourpre s'écraser encore et encore contre le marbre du manoir Blackwell, bloqué dans une boucle intemporelle, le son horrible résonne, là, quelque part. Pour toujours. Les larmes de Lancelot. Dans le crâne affreusement bouillonnant de l'animal ; les regrets galopent par millier.
(Mais ça aussi, il n'en fera rien, n'est-ce pas?)
Les yeux clos. La respiration vive et saccadée. La route devient floue.
Peut-être bien que c'est l'univers qui a toujours été taré et qu'il n'y a pas grand chose de plus à expliquer.
Le roi Arthur au flanc tressé d'hématomes secrets,
Le roi Arthur au sourire distordu,
Le roi Arthur au rire qui flanche,
Le roi Arthur à la froideur naissante, si blanche. Trop blanche ? Trop parfaite pour ne rien cacher de plus profondément inquiétant. Fuir pour mieux se perdre, là où personne ne le retrouverait jamais.
"Et maintenant, rentrons mourir." (c'est ce qu'il a toujours su faire de mieux, de toute façon, crever pour renaitre et détester toute âme qui en fait de même, renaitre de travers, et puis pourquoi faire ?)
Somewhere in Florida, around the WPMC's Camp,Rouf. C'est comme ça qu'ils l'appellent ici. C'est le président qui l'a soufflé un soir de beuverie et de poker, depuis son canapé rapiécé, dans un rire un peu éméché. Rouf, c'est lui, enfin celui qu'il doit être (ou peut-être que c'est le vrai lui...). Le nouveau prospect un peu trop grande gueule et sanguin du club. Le sale gamin à qui il faut apprendre les bonnes manières. Jeune recrue affreusement zélée, difficile à canaliser mais pleine de bonnes idées (de merde). Mais qu'on apprécie, pour une raison qui échappe au plus grand nombre des motards du camp. Parce qu'il est con, mais parce qu'il est attachant et efficace, à sa manière. Et puis y a Kaz. Tandem inébranlable. Un type qui est arrivé avec lui, qui le connait mieux que n'importe qui... ou croit le connaitre. Qui est tout son contraire, pour le mieux. À ses côtés, il se fond dans le décors, se crée une place dans le milieu. Coude à coude. Frères d'armes, plus viscéralement qu'il n'a jamais ressenti la chose.
Avant. Et quand les flashbacks de son passé au comico lui reviennent en pleine gueule, Russel peine à avaler sa salive, à se dire qu'il ne devrait pas se sentir si bien ici, assis près du feu de camp, entouré des rires gras de
ses frères de ces criminels, au milieu des armes assassines piochées sur le blackmarket et du tas de paquets de coc' qu'ils revendent sans un regard en arrière. Et alors il se souvient. comme la froideur glaciale des murs du comico ne lui manquent pas, comme les robots de la milice l'ont toujours épuisé, comme la lourdeur des kevlars durant les opé interminables lui donnaient des hauts le cœur. L'inhumanité de la sacro-sainte-justice. Son inefficacité, aussi.
Non. non, il y croit encore. Il n'a pas le choix. Pas cette fois.
Protéger et servir.
Protéger et servir.
Le mantra idiot soufflé chaque putain de matin devant le miroir pété de la caravane, pour se souvenir ? Pour se convaincre. Pour se tenir à son devoir. Pour se rassurer. Qu'il reste droit dans ses bottes de combat. Que son badge l'attend quelque part dans les vestiaires. Qu'un jour il reprendra ses patrouilles et ses enquêtes, en Angleterre. Et qu'il sera fier, pour lui-même. Qu'il regardera les gens, son 9mm, son uniforme poussiéreux, la nuit tomber... Et qu'il sera plus seul que jamais.
(Tu crois que tes collègues lèveraient le petit doigt pour toi comme le font tes frères du club ? Tu crois qu'ils en ont quelque chose à foutre de ta gueule ? T'es qu'un inspecteur parmi tant d'autres, un clown en uniforme bleu qui fait marrer mais qui n'a rien de singulier, un pion, un numéro. Et quand tu seras plus, y en aura un autre pour te remplacer. Y en a toujours d'autres. Des rejetons de la Justice.)
Alors quand Kaz s'interpose en pleine fusillade. Quand cet abruti prend une balle pour lui. Arthur Blackwell n'a plus jamais existé. C'est Rouf qui manque de perdre un frère, c'est Isaac Russel et tout le mensonge du personnage. L'image du gamin au sol s'impose de nouveau et fait mal. Le regard indifférent de Mason, la foule, les sirènes.
Non, pas encore ce cauchemar.«
Bordel Rouf, dégage de là, ramène-le au camp ! » Les hurlements du présent sont bestiaux, violents, ... Et ils ont quelque chose de plus chaud. De plus vrai. De rassurant. De
vivant. Comme le sang qui coule sur la terre sèche et les phalanges qui se peignent d'ocre, les regards de furie qui se croisent et prient le tout puissant. Russel croit revivre, s'exécute aussitôt, boosté par une poussée d'adrénaline. Personne ne mourrait jamais pour lui. Au nom de la Justice, du bon dieu ou des pourris,
personne. Quelle folie.
Ça ne devait pas se passer comme ça. C'était pas le plan. C'était pas ce qu'avait promis le Com du MPD. L'enfoiré. Le démantèlement fut une scène d'extrême violence. Une énième. Les unités du SWAT ne leur avaient laissé aucune chance. Ou si peu. Une quinzaines de blessés, pour une poignée de crevés et de mains levées. Kaz est à genoux, sans voix. Il ne le regarde pas. Alors il pose une main sur son épaule, à son faux-frère ; puis respire la poussière, la fumée et le sang. Et par instants, lorsque le vent tourne, Rouf entend le ciel lui gronder des maux. Il sait qu'il a bien agi, que tout ceci avait un sens, que c'est un traitre mais qu'il est bon, juste et brave... pas vrai ? Quelque chose comme ça. De jour, un jour si beau, si chaud du mois d'Aout ; la vision
de son du camp en ruines et de ses derniers soubresauts, rythmés par le craquement des tuiles qui ploient sous les impacts de balles, et des arbres défoncés prêts à venir s'écrouler sur la caravane du président. Les motos explosées, éparpillées au sol. Sauf
la sienne.
Le jour décline peu à peu, la nuit enveloppe le champ de bataille bardé de sirènes rouges et bleues, de blindés et de keufs par centaines. Et cette sensation de silence parmi le brouhaha ne disparait pas. Il a l’impression que tout son être se calque soudain à l’image du camp en feu. Qu'une partie de lui meurt avec. Et ça ne lui fait... plus rien. La main s'échappe, quitte l'épaule du frère. Kaz se relève. Il ne la rattrapera pas, ne le sauvera pas comme il l'a fait.
C'est comme ça. Et ça fait mal. «
Comment.... Comment t'as pu nous faire ça... Espèce d'enfoiré de... » ... «
C'est comme ça. » Et ça fait mal.
Rouf s'en va. Russel l'observe du coin de l'œil, dans le vide, ailleurs. Il est mort avec le camp. Tandis que son ex-camarade se fait menotter violemment contre le capot d'une sérigraphiée.
Le retour à la maison (en a-t-il seulement déjà eu une ?) est plus complexe encore qu'il ne l'a imaginé. Les années passent, rien ne se tasse, rien ne s'oublie. Il ne reconnait rien, ni personne. A oublié toutes les bonnes habitudes, se comporte toujours comme s'il était un fichu bandit ; en joue énormément, en rigole franchement. Et le nouveau Commissionner Russel balance ses galons tout neufs dans son casier, non loin de son patch d'une autre vie qu'il n'a jamais réussi à jeter. Il peine à reporter l'uniforme. Même après toutes ces années.
Et c'est lors d'un contrôle de routine qu'il l'a rencontrée pour la première fois. Anna. Rien d'inoubliable, il ne l'a même pas trouvée si incroyable que ça. Le fruit du hasard. Et puis, comme quoi.... la femme de sa vie (-ou du moins c'est ce qu'il pensait) se cachait dans l'ordinaire. Il a fallu du temps pour qu'il se laisse aller. Ils se sont mariés très vite, parce que ça lui faisait plaisir, à sa belle, et qu'il avait rien contre. Ils se sont aimés trop fort, aussi, parce que pourquoi pas ? Et mal. Il lui a caché trop de choses. Il l'a blessée trop de fois. Elle a voulu des enfants. Qu'ils n'ont pas pu avoir. Qu'il bosse un peu moins et prenne moins de risques. Et lui qu'elle lui fiche la paix une bonne fois pour toute. Aucun d'eux n'a jamais obtenu ce qu'il voulait. Ou peut-être qu'il a gagné, au prix d'un sourire blasé. Il ne sait pas trop comment ça s'est terminé. Une suite de mauvais choix. Russel n'a jamais accepté que les histoires aient une fin. Mais c'est une fatalité qu'il a vu arriver sans broncher. Contre laquelle il n'a pas essayer de lutter.
Il y a comme un grand silence depuis quelques décennies. Un jeu des chaises musicales où il ne se retrouve plus. Il n'a pas été un bon Commissionner, à la grande surprise de personne. Les a tous pris pour ce qu'ils étaient ; des pions qu'on jette et qu'on remplace, pour qui on ne porte aucun sentiment. Une folie où tout devient flou dans l'esprit fumeux du flic nonchalant. Rongé de multiples furies tenues sous un cynisme désinvolte affreusement déconcertant. Quelques mois, peut-être des années que Isaac a, consciemment ou non, effacées drastiquement de ses mémoires, fusillées à l'automatique, défoncées à la matraque. Ne demeure qu'un restant de cœur battant tout juste, serré par les remords, par la rancœur, la haine et le temps. Ne lui reste que son bon devoir pour lequel il a renié toute une vie, la sienne, et bien d'autres avec lui. Pour lequel il a
trahi. Pour lequel il trahira encore et encore. Pour lequel il se battra, jusqu'à crever une énième fois.
Sans doute qu'il aurait du être content, d'être enfin roi. De son propre royaume. Pas celui de papa. Il a longtemps rêvé ce moment, celui où il pourrait juste fumer sa clope sur le parking du comico sans risquer de se faire chopper à pas bosser par un haut gradé. Rêvé d'être tout là-haut, tout seul, à faire sa propre loi, sans qu'on le fasse chier. Mais voilà que rien ne semble le satisfaire ne serait-ce qu'un peu, voilà qu'il est trop tard et que le monde entier le fait chier. Et que dos contre la putain de pompe à essence, les yeux rivés sur la fourmilière de son comico qui s'affaire à protéger la ville ; il ne sait pas bien ce qu'il fout là. On vient de le rétrograder, pour le punir, comme si sa plaque d'Inspecteur n'était pas son plus précieux joyaux. Il n'a jamais été bon leader que pour guider ses troupes vers la Mort. Au plus près du cercueil de son passé, des pages cornées, de ses multiples échecs et grandes réussites : il reste persuadé d'une chose. S'il fallait rejouer la partie, s'il fallait refaire les mêmes erreurs; il ne changerait
strictement rien. Et c'est peut-être ça le problème.
Il n'est pas idiot, L'inspecteur Russel. Il connait sa réputation. Le truc, c'est qu'il n'en a juste rien à battre. Il se l'est même forgée au fil de ses longues années de service. On dit de Russel, que c'est pas un mauvais flic, juste un type qu'il faut pas trop contrarier, qui serait peut-être prêt à vous aider si les magouilles sont pas trop dégueulantes et qu'il a un truc à y gagner. Et peut-être que ça s'apprend pas vraiment. D'être foncièrement
quelqu'un de bien. Mais le métier de flic, si. Pour lui, tout ça ne compte pas tellement tant que les conséquences sont les bonnes. Tant que les résultats sont là. Les moyens, il en fait et en fera toujours son affaire.
Et lorsque l'vieux loup s'est éveillé, il a croqué certains fragments du passé. Le mégot balancé contre l'asphalte. Un simple hochement de tête affirmé, et tous les petits soldats sont déjà parés. Isaac lorgne la tombe de son silence d'un œil absent. Un goût de fer entre les dents. Il repense à Mason, son mentor, qui n'a jamais pu être condamné. Il repense à Lancelot, à Kaz, les frangins abandonnés. Il repense à Fenrir et Meyer, les deux anciens 09 dont il a feuilleté les dossiers lors de son court passage en tant que Commissioner ; simplement par
curiosité. Deux crapules. Deux ratés. Il se dit qu'il a la gueule de l'emploi et que, finalement, son matricule lui va plutôt bien. Il repense au passé, pour mieux l'écraser. La tête en vrac, les idées brutes. «
09 sur fréquence, salut les cons. » le grésillement du call radio lâche un rire ou deux. C'est pas ses frères, c'est pas sa maison, mais ici, c'est le roi des sacrés cons.