ADHEMAR ❖ New Recording 66, Nov 17, 2021

❖ On accède à ton appartement par l'escalier, l'ascenseur y est en panne. Trois étages à gravir et la porte se trouve sur la gauche. Tu la cadenasses avec trois verrous en plus de la serrure : une mère seule sait se protéger. C'est gentil, chez toi. Ça n'empeste pas le neuf, ne coule pas de vieillesse non plus. La cuisine refaite par les anciens locataires côtoient tes meubles en récup'. Par terre, on marche sur un jouet de Milo, une peluche, lui qui en cinq mois s'est bien plus approprié l'appartement que toi. Sa chambre est fermée, elle n'est pas encore finie. Alors, il dort dans la tienne, le lit proche du tiens. Ses affaires recouvrent ta décoration, met en bordel un salon que tu peines à ranger. Tout ton monde, il est : et c'est ton chez-toi qui le reflète le mieux.

❖ Il a les joues rosées, gonflées de bonheur, les pommettes potelées d'une toute petite tête ronde. Il a tes yeux, tes cheveux, ton grand sourire malgré ses fines lèvres délicates. Il a l'air curieux, l'air intello, la voix qui chante d'un bout à l'autre de la maison. Milo est bavard, déjà, une pipelette qui s'égosille de quelques voyelles et bulles de salive. Il est chiant quand il a faim, intéressé dès qu'un jouet coloré s'agite devant lui. Pour se mettre assis, il est fainéant, mais cela fait déjà un mois qu'il s'entraine sans arrêt au trille des lèvres. C'est le son qu'il préfère d'ailleurs, le chantonne dès qu'on lui donne sa peluche ou qu'il s'amuse. Il est une boule d'amour comprimé dans un body de 67cm et même si parfois, la fatigue laboure ton dos : tu ne regrettes jamais d'avoir ton meilleur compagnon d'aventure.

❖ La prison, ça a une odeur. Une odeur qui colle au vêtement, à la peau ; une odeur qui traine encore dans ta vie, une odeur que tu penses encore sentir aujourd'hui. Elle n'appartient pas au passé, la prison, et elle n'y appartiendra sûrement jamais. Ton corps s'est affaissé sous l'épreuve du temps. La peau s'y est flétrit, la chair s'y est gonflée. Sur tes doigts, l'épiderme s'est écaillé sous la craie. Quand Evelyn t'a ramenée de la prison, tu as fais un malaise : les images du décor qui défilent dans la voiture t'ont fait tourner la tête. Cinq ans, c'est trop long pour que quiconque ne le visualise vraiment. Là-bas, tu conduisais les camions pénitenciers et tu t'assurais de leur entretien. À l'intérieur, tout y est trop intense : la colère, la tristesse, la joie. Les plaisirs simples prennent des allures de vœux exhaussés et les inconvénients tarissent le moral pour une semaine entière. Tu y pleurais le matin, en silence, parce que tu partageais ce qui te sert de chambre avec trois codétenues. Tu as connu l'inhumanité de la prison dans la prison, mais tu as aussi connu la liberté qu'est celle d'aimer une autre femme. Tu y as retrouvé la mort aussi, mais les amitiés là-bas paraissaient inébranlables tant elles étaient irréelles. Tu avais peur que le monde ait trop avancé pour toi. Tu n'étais même plus sûre de sortir, piégée par l'idée que tu n'allais rien retrouver une fois le dernier contrôle passé. Tu allais gêner des gens qui n'ont plus besoin de toi et trois millions de chômeur auront répondu avant toi à toutes les annonces. Tu t'es faite violence pour t'insuffler un peu d'enthousiasme, mais même le chant des oiseaux se foutaient de ta gueule. Au final, le temps s'y était tellement arrêté, dans cette prison, qu'il avait finit par y faire demi-tour.

❖ Tu t'ennuies dans les bouchons de Londres avec le bout des doigts qui picotent posés sur le passage de vitesse. Tu sais que tu as encore ça dans le sang, la conduite, l'adrénaline, le réflexe du bon coup de volant au bon moment. Faut dire que t'étais une artiste, un génie, dix métacarpes capables de manipuler des monstres dix fois plus lourds que ta carcasse. Tu as été multiple championne de karting dans toutes les catégories. Tu avais ta place sur le rang d'au-dessus, en Formule Renault, mais le crissement des pneus des voitures de drift ont finalement eu ta peau. Tu marques tes premières empreintes dans l'asphalte à peine ta majorité atteinte. Il t'y emmenait souvent, Evelyn, à tes championnats ; parce qu'aucun adulte ne bougeait pour toi. Tu n'as trouvé mieux que d'éclipser tes ambitions au Japon où, à travers les fumées du pneumatique décapés sur le sol, tu as battu des records de vitesse sur le périph' de Tokyo. Alors à ton retour, un an plus tard, tu rejoins la scène des courses en Angleterre. Tu signes un temps record sur le mythique circuit de Silverstone, une skyline R34 entre les doigts. T'as ton nom gravé dans le bitume des légendes de la discipline.

❖ Papa et maman n'ont jamais été présent. Rien, nada : juste de l'argent envoyé par-delà la Manche. Ta tante n'en était pas une, tout juste l'amie de ta mère. Alors, tu as bien vite fini par dormir sur le canapé des uns et des autres. Tu rédigeais tes devoirs dans les salons qui t'acceptaient, sous les lumières des plafonniers qui voulaient bien t'éclairer. Tu connaissais bien le bureau de la directrice, parce que tu t'y abritais quand on t'oubliait à la sortie de l'école. Puis, il y a eu cette après-midi d'hiver, un peu avant les vacances. Deux mioches plus grands que toi se sont disputés leurs billes et tu as pris part sans hésiter à la querelle. Tu t'es retrouvée dans un couloir à pleurnicher sur tes genoux égratignés. L'homme de ménage te console, soigne ton bobo ; et le lendemain soir, il te retrouve dans son canapé à manger ses chips. La fenêtre était ouverte, que tu avais dis, petite délinquante très peu au fait de la notion de propriété privée. C'est la première fois que tu posais le pied chez les Shelley et depuis, tu n'en es jamais vraiment repartie. Gêné, Evelyn a dû inventer l'existence d'une nièce pour justifier ta présence. Alors le soir, tu avais ta gamelle comme les autres et les jours de fête, tu étais conviée avec. T'es devenue quelqu'un sous ce toit : une amie, une confidente, une sœur. Petite dernière aux caractères bien trempés, tu n'as été considérée pièce rapportée guère longtemps. Evelyn a pu conduire ta passion pour les moteurs débridés. Ce n'était que du karting au début, puis il a fini dans le paddock à te regarder filer à 300km/h sur le bitume de Silverstone. Tu cultivais une dyade étrange, tantôt oncle et nièce, tantôt adelphes. Même sans un cheveux de la même couleur, personne n'en doutait quand vous vous présentiez de la même famille. T'étais le soleil, il était la lune : fusionnels dans la différence, vous qui combliez les lacunes de l'autre par vos propres forces. T'étais le soleil, il était la lune : et c'était comme si le monde était à vous, car aucune brume ni aucune nuit ne pouvaient vous plonger dans l'obscurité. T'étais le soleil, il était la lune : et il y a eu les rires, le réconfort, les après-midi cinés et les soirées à jouer aux échecs avec une bière. Mais, le Soleil a fini par être enfermé et ainsi privé de ses échanges avec la lune, il s'est mis à clignoter jusqu'à s'y refroidir complètement. Alors, quand sa boîte étroite s'est enfin réouverte, le Soleil, plongé dans l'abîme, ne pensait plus être une surprise pour personne. Tu t'en veux encore d'avoir fui au Japon, tu t'en veux encore d'avoir fini en taule.

the last of us (you and me)

1995 — naissance d'Adhemar María Saornil Gascón à Valence.
1995 - 1999 — petite enfance en Espagne.
1999 - 2009 — enfance à Londres, rencontre avec Evelyn Shelley.
2003 - 2006 — premières compétitions de karting.
2007 — championne nationale de karting à l'âge de 12 ans.
2007 - 2010 — entrée dans The Under 17 Car Club.
2010 — championne britannique de Formule A à l'âge de 15 ans.
2010 - 2012 — début de sa passion pour le drift.
2012 — Vice-championne de Formule Renault à l'âge de 17 ans
2013 — Coupure nette de carrière, voyage au Japon.
2013 - 2015 — Double années sabbatique, voyage au Japon et participation aux concours de drift et courses illégales.
2015 — Retour en Angleterre. Temps record sur le circuit Silverstone.
2016 — Incarcération pour une peine de deux ans d'emprisonnement.
2017 — Rallongement de peine de trois ans supplémentaires.
17 Nov. 2021 — Sortie de prison.
2021 - 2023 — Mécanicienne.
2 June 2023 — Naissance de Milo Saornil.