joyce ⚘ dreams in the witch house

whisperer in darkness
 
andrew boatwright est titulaire depuis quelques années à peine d’une chaire en littérature britannique à l’université d’oxford lorsqu’il croise le chemin de la pétillante cecily hemingway. de seize ans sa cadette, son élève a du mal à ne pas s’éprendre de l’anglais passionné de poésie qu’elle passe des heures à écouter.
ce qui devait être une liaison sans conséquences et sans heurts se complique lorsque cecily tombe enceinte ; le ventre arrondi dans sa robe de mariée, elle tend des sourires gracieux aux photographes d’un juin 1987 dont tout le monde se rappelle la pluviosité.
la petite éclot comme une rose au milieu des neiges hivernales dans le cœur de l’oxfordshire. tout à son dévouement, andrew déclame à vive voix des strophes entières de lord byron pour que son enfant vienne à ce monde entourée des mots des plus grands ; cecily rit aux éclats, ils s’embrassent. joyce virginia charlotte est née, elle sera la pointe d'un triangle qui cristallisera leur amour.

de son enfance, joyce n’a qu’assez peu de souvenirs : les couloirs de l’université dans lesquels elle tenait la main de maman pour entrer dans le bureau verni, l’odeur de violette et de sucre qui traînait toujours derrière elle, le visage sérieux de papa et sa voix grave mêlée au bruissement des pages des livres qu’il lui lisait le soir. une enfance heureuse, certainement, ou du moins idéalisée : sourde aux tons qui montaient le soir, aveugle aux cernes qui se creusaient dans le visage jeune de maman, joyce est une petite fille souriante qui ouvre des grands yeux sur le monde. son appétit de tout comprendre est impossible à endiguer. les livres surtout l’attirent, sa fureur de ne pas comprendre les enchaînements de lettres encrées la fait exiger qu’on lui dise, qu’on lui lise tout ce qui peut passer. andrew est ravi, cecily soupire. elle est bien la fille de son père.
un souvenir plus net que les autres, celui de la porte de l’appartement alors que maman est partie. c’est tout ce qu’elle aura, ces trois mots pour seule explication ; elle en échafaudera bien plus dans sa caboche de petite fille. la vérité, c’est qu’on peut tromper le destin pendant un petit paquet d’année mais toujours le temps vous rattrape : cecily s’est lassée de cet homme. sa maturité est devenue un conservatisme rasoir, son charme austère un pessimisme qu’elle méprise, et ses passions des obsessions sur lesquelles il ne lâche pas prise.

alors ils deviennent un tandem, père et fille unis par les mots, le papier et le cuir usé, les chemises beiges bien repassées et les allusions aux sœurs brontë. joyce est curieuse, joyce est sage : on la félicite et elle sourit, modèle parfait de l’enfant douce avide de connaître et savoir. papa est fier d’elle, elle connaît tous ses collègues et les meilleures cachettes d’oxford comme un décor à ses journées.

elle ne comprend pas pourquoi elle n’a pas le droit de rester avec papa, à gribouiller ses coloriages sur le bureau en bois massif dès que l’école est terminée. non, joyce doit être grande, elle doit prendre le bus, aller à l’école plus loin. on attend d’elle qu’elle soit autonome et elle l’est.
le middle school la passionne et l’effraie à la fois. elle fait mine, avec son tweed brun, d’une silhouette découpée dans un magazine et collée dans un autre décor sans lui demander son avis ; ça n’a l’air de déranger personne, quand les copains et les copines s’alignent par milliers près d’elle, qu’elle prête ses livres et ses sourires à tous ceux qui veulent bien l’entendre. elle voit bien que tout est curieux, que ses centres d’intérêt détonnent, mais joyce n’en prend aucun ombrage. il y a trop de choses à aimer et à découvrir en ce monde pour se laisser ainsi atteindre par toutes les moqueries des envieux.

impossible de se rappeler comment ça lui est arrivé dans les mains. joyce lit the color of magic, et un nouveau monde s’ouvre à elle. rire, pleurer entre chaque passage, l’enchantement est évident et l’amour du genre, instantané. le soir, elle parle à son père de son nouveau roman préféré.
"des sottises", qu’il lui dit, "tout juste bonnes à allumer un feu." l’ombre qui passe dans son regard est inconnue ; sa colère, incompréhensible. joyce se refuse à écouter, elle dévorera toute la suite des œuvres de terry pratchett. puis, d’autres noms se joignent à lui : h.p. lovecraft, j.r.r. tolkien, autant d’hommes à des années lumières de la littérature 'valide' telle qu’elle est prônée par son père.
avec effarement, joyce réalise qu’elle est tenue dans l’ignorance de toute une frange des œuvres littéraires anglaises. l’incompréhension se creuse avec andrew, convaincu que james joyce et william shakespeare feront de plus fidèles alliés lorsque les siècles passeront.

 
par défi vis-à-vis de son père autant que par besoin de changer d’air, joyce quitte les terres de l’oxfordshire pour une colocation à londres. la capitale fourmille d’étudiants de son âge, et elle se laisse gaiement happer par cette douce ambiance d’arc-en-ciel. vorace à n’en jamais dormir, elle veut tout faire, tout voir, tout vivre ; les livres s’accumulent sur sa table de chevet en même temps que les amis qu’elle a rencontrés font leur poids dans son carnet de notes.
là, elle étudie une littérature anglophone plus diverse, une qui valorise orlando plutôt que mrs. dalloway et le brillant lord of the rings au moins autant que george v.
c'est au beau milieu d'un de ses cours magistraux qu'elle se laisse happer par les boucles noires de l'écriture de francis heaton. dans la voix de l'un de leurs professeurs, la prose devient une poésie et l'ambiance brillante instillée transporte joyce à des années de là. l'enseignant épinglait l'exemple de celui qui s'aventurait sur les chemins inintéressants de la littérature de genre ; reconnaissant en lui les accents moralisateurs d'un père avec qui elle ne parle presque plus de livres, joyce lève la voix. ainsi se noue leur amitié, sans que l'on puisse réellement dire ce que ces deux-là font ensemble. la grisaille et l'arc-en-ciel, la pipelette et le taiseux, le corbeau et la coccinelle. elle n'est jamais certaine qu'il l'aime bien, francis, ou qu'il ne fasse que la supporter ; ça ne l'empêche pas d'élire domicile sur la place à côté de la sienne, de prendre deux tasses de café quand elle ramène son thermos en cours et de toujours lire ses brouillons avec une folle avidité.

les mois s'enchaînent avec la fluidité de perles glissées sur le fil d'un collier : joyce sort, joyce travaille, joyce lit, joyce rencontre, joyce a toutes les idées du monde.
à noël, elle rentre à oxford et annonce à son père qu'elle n'est pas faite pour enseigner, pas faite pour écrire, que c'est pas à ça qu'elle aspire. andrew tempête, finit par la renvoyer à londres le soir du réveillon ; c'est chez francis qu'elle atterrit, encore, avec l'amertume sur les lèvres. tant pis, alors.
si elle doit travailler pour financer ses études, elle jongle avec ses deux emplois en plus de l'université. par un virage de bord subit, elle trouve sa voix comme par miracle : elle ne veut pas écrire, joyce, elle veut que le monde entier lise les écrits de ceux qu'elle admire. alors elle finit par pousser les portes du commerce, là où tous les requins se pressent et essaient de déchiqueter les ailes fines de la coccinelle. emmitouflée dans ses collants à pois, sa conviction pour seule armure, elle lutte contre le sexisme ambiant, les regards de ses camarades qui la dégoûtent et la révoltent. elle lutte contre tous ces idiots qui lui disent qu'elle n'est pas réaliste, que ses projets sont trop grands pour elle.
quand elle décroche enfin son diplôme, qu'elle se fait recruter par une grande boîte qui représente des auteurs de tous les horizons, c'est un pied de nez à tous ceux qui n'ont pas cru en elle. dans son petit bureau aux gigantesques baies vitrées, francis est le premier pour qui elle négociera des contrats d'édition, le premier avec qui elle sabrera le champagne d'une vie qui s'annonce guidée par la boussole de leurs passions. lui n'y croit qu'à moitié, trop volontiers à douter de ses ambitions et du brio de ses palabres ; elle pousse pour eux deux, tire vers le haut.
bientôt, le succès est sur le seuil, sa fiche de paie est conséquente et l'on vient frapper à sa porte dès qu'un auteur de fantasy se présente à l'agence où elle travaille. ses lèvres n'en peuvent plus de sourire, ses cernes non plus de se creuser. le temps passe si vite et joyce court un tel marathon qu'avant de comprendre comment, elle a trente-deux ans au compteur et un t2bis à hackney.

comme un brutal coup au licol qu'elle pensait ne plus reporter, le coup de téléphone résonne dans l'antichambre de ses regrets. son père est mort. une crise cardiaque, soudaine et brusque, alors qu'il lisait tranquillement à coté de la cheminée. joyce aimerait trouver de la consolation dans l'idée que son père soit mort en faisant ce qu'il aimait le plus, mais la seule chose qui la traverse c'est qu'elle n'a pas de collants noirs à porter à son enterrement.
sous son parapluie sombre, un nuage cotonneux l'enrobe comme une couleur venue d'ailleurs dont elle ne sait pas se défaire. l'oxfordshire semble plus terne que dans ses souvenirs d'enfance, des visages défilent devant elle avec toutes leurs condoléances. elle a refusé que quiconque l'accompagne dans le décor de sa jeunesse mais, alors que tout le monde demande quand est-ce qu'elle va se marier, la solitude laisse sur ses lèvres un goût de cendres et d'imparfait.
elle s'en moque, de se marier, joyce. elle s'en moque d'avoir des enfants, une vie rangée dans un tiroir et enserrée dans un corset. sa soif de vivre est insatiable ; pourquoi personne ne semble comprendre ?
à son retour, même londres a la saveur amère des plats dont on a trop mangé. son père lui laisse en héritage le regret des années passées à refuser de se comprendre sur une passion qui jadis était leur plus belle passerelle. il lui faut de longs mois pour remettre ses jupes à fleurs, accepter de sortir dîner avec des auteurs en devenir et se convaincre malgré elle qu'elle a pris les bonnes décisions.

mais la vie continue.
pas plus que joyce elle ne s'arrête, jusqu'à l'essoufflement total. elle se dit qu'elle dormira quand elle sera morte, tant il y a de gens à connaître et d'horizons à explorer ; et si le rythme qu'elle s'impose lui fait courber l'échine trop tôt, elle aura au moins eu la gloire de ne s'incliner devant personne.

some people live more in 20 years than others do in 80.

sagittarius that doesn’t care ⚘ enfp ⚘ collectionne les collants à motifs comme si sa vie en dépendait ⚘ léger bredouillement par la profusion de pensées ⚘ indécrottable optimiste ⚘ parle vite, en bougeant les mains ⚘ semble détenir toutes les réponses ⚘ joue du piano et de la trompette ⚘ whovian invétérée ⚘ toujours en jupe, même en hiver ⚘ profusion de carnets usés ⚘ thermos de café sous le bras ⚘ accumule les mugs en métal quitte à s'en brûler le bout des doigts ⚘ un léger sourire gravé sur les lèvres ⚘ mariée à son travail, à ses passions et à sa vie ⚘ deux lapins, hastur & dagon ⚘ immense sac à main en cuir jaune ⚘ dessine des coccinelles partout ⚘ lunettes de vue gigantesques & multicolores ⚘ bout des doigts souvent tâché d'encre ⚘ supporte mal la solitude mais se moque bien du célibat