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to build a home (basile & sophie)

2 participants


Sophie Brunelle
Sophie Brunelle

Pseudo : lune (elle).
Arrivée : 17/03/2024
Messages : 87
Faceclaim : laura bensadoun.
Crédits : self (ava + gif)
Selfie : to build a home (basile & sophie) Bksi
Citation : i have made my bed in charnels and on coffins,
where black death keeps record of the trophies won…

Âge : les trente automnes se composent en staccato.
Pronoms irp : elle/she.
Statut Civil : cultive sa solitude avec le soin d'un jardinier à ses rosiers.
Occupation : professeur de ballet, sa canne heurte le sol au tempo de la mélodie, métronome infaillible terrorisant ses jeunes élèves.
Habitation : en compagnie de Basile, hante les couloirs décrépis d'une maison de wandsworth.
In game :
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basile #2skynixgeorge

(à venir)
chance ✧

☞ dialogues: fr/eng, 3ème personne.
☞ 300 à 700 mots en moyenne.
☞ min (1) réponse par mois par rp, lente mais pleine de bonne volonté!

Content : violence physique et psychologique, sang/gore, meurtre/mort, maltraitance infantile.

   https://concretejungle.forumactif.com/t875-revenge-is-never-a-straight-line-sophiehttps://concretejungle.forumactif.com/t903-a-deal-with-chaos-sop


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@Basile Callune
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Le chaos s'est installé dans la maison de Wandsworth. Entre les murs décrépis où la peinture s'écaille, des éclats de voix animent les corridors, rebondissent contre les miroirs fêlés et noircis de mercure. Pour une fois, ce ne sont pas les mélodies tirées du vieux lecteur de cd dans le salon, ce sont des dialogues des vrais, des discussions et des débats avec tout le sérieux du monde. Où ira ce carton? Et celui-ci? Non, il n'y a plus de place dans la pièce du fond, mais peut-être à l'étage.
Les griffes de Cyrano jouent des castagnettes sur le parquet. Il va du salon à l'entrée, s'assoit sur le perron, puis retour dans le salon, l'œil affûté de la race de chien de berger attentif à tous ces mouvements inhabituels sur son territoire. Le chien n'aboie jamais, ne montre pas les dents, il n'est pas non plus de ces canins affectueux, constamment à la recherche d'une caresse de son maître. À l'image de celle qui l'a ramené du refuge, ses affections sont intérieures et discrètes, et cela suffit. Il se veut l'inspecteur des travaux finis.
La canne de Sophie trottine un peu également. Ce serait un mensonge de dire que l'emménagement ne l'angoisse pas. Son amour de l'ordre et de la propreté est chamboulé le temps d'une journée, pour accueillir son camarade, son allié, celui qui partage tous les souvenirs de la Maison. Il a fallu faire de l'espace, introduire un semblant de vide pour mieux le combler derrière – au rez-de-chaussée, surtout, territoire le plus accessible pour eux, dont les pattes folles rendent la grimpette vers l'étage difficile voire impossible. Antonov, le gardien, la petite main indispensable dont le visage demeure toujours insensible, rustre sur les bords pour mieux caché le cœur d'or, a accepté de déménager, libérer la chambre du jardin à l'intention du nouvel arrivant pour filer se réfugier à l'étage. Le plus important, vorace en espace, c'est le piano. Il a fallu se débarrasser de l'ancien, laisser la place à un autre, reliquat du passé de concertiste de Basile, specimen plus noble pour recueillir le tracé de ses mains virtuoses. Il trône maintenant en majesté dans la pièce que Sophie a surnommée le studio, là où se déroulent les cours avec ses petites élèves, où son allié pourra également accueillir ses étudiants. Elle avise la pièce attenante, le salon qui commence déjà à crouler sous les affaires des uns et des autres : les collections de musique, les livres, des babioles qui s'entassent sur les fauteuils un peu écroulés ou le canapé défraîchi. Il faudra ranger. Elle fronce le nez, vaguement désappointée par la montagne de travail à faire pour empêcher le modeste logis de se transformer en caverne aux trésors, en fourbis mirobolant.
Antonov se veut rassurant, dans le petit bazar. Son accent slave à couper au couteau ajoute de la musique dans le décor délabré.
– I'm sure it'll all fit in the upper floor, commente-t-il, blasé comme toujours en mâchouillant un cure-dent, son pantalon tâché de poussière et de traces de peinture anciennes.
Sophie le connaît assez pour savoir qu'il se réjouit secrètement d'un peu de vie supplémentaire entre les murs endormis de la maison. Une présence de plus pour l'animer, la faire danser, même si la place vient lentement à manquer dans ce logis. Le radar du gardien opère sur des critères énigmatiques, impossible de savoir pourquoi il choisit d'accorder ses sympathies à certains plutôt que d'autres. Il n'a pas beaucoup échangé avec Basile, mais le Slave aux origines nébuleuses semble déjà s'être pris d'affection pour lui. Suffisamment en tout cas pour déplacer docilement les affaires comme on lui ordonne de le faire, sans rechigner, quitte à faire des allers-retours, essayer une multitude d'emplacements jusqu'à ce que ça colle.
Sophie, elle, ne sert pas à grand chose, sinon commenter et râler quand un objet atterrit là où il ne faut pas. Assise dans un coin du canapé défraîchi, tasse de thé refroidi sur l'accoudoir, la canne à ses pieds, les deux mains dans une boîte alourdie par les disques, elle décrète finalement :
– Basile, je suis désolée, mais il va falloir faire un tri.
Une manière délicate de dire jeter le superflu. Pour appuyer ses propos, elle agite un album des Impromptus de Schubert.
– Je l'ai déjà, celui-là. On n'a pas besoin d'un deuxième.


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He's made one for himself, one for me too,
One of these days, he'll make one for you.
Basile Callune
Basile Callune

Pseudo : Salaï (any)
Arrivée : 08/04/2024
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Faceclaim : Enzo Vogrincic
Crédits : lune ♥ (avatar), FuFu Frauenwahl (gif), Fairy Helpers (ban)
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Citation : I will burn them to the ground and stand on their ashes.
Âge : (( TRENTE ET UNE )) années parties en fumée le long des dunes ravagées de son amertume.
Pronoms irp : (( IL )) se traîne au masculin singulier.
Statut Civil : sous la pluie battante d’un (( CÉLIBAT )) éternel.
Occupation : (( PROFESSEUR )) prodige aux mille cordes sensibles, Basile sait faire chanter tous les instruments.
Habitation : sous le toit décrépi de la maison de Sophie à (( WANDSWORTH )).
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Triggers : à discuter en amont.
Content : maltraitance infantile, violence psychologique et physique, sectarisme, élitisme, anxiété, dépression, validisme, douleurs chroniques, errance médicale, préméditation de meurtre, mort, meurtre.

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To build a home


TW/CW élitisme, classisme, toxicophobie, douleurs chroniques.

  Sa canne est adossée à un carton ; abandon presque inconscient, envie de mouvement en dépit de l’épuisement et de la douleur. L’énergie survoltée du déménagement a emporté le souci des articulations grippées et des nerfs enflammés. Il le regrettera plus tard, lorsqu’il s’immobilisera et se trouvera submergé par ce qu’il a récolté en s’agitant de tous les côtés. Comme un chef d’orchestre autoritaire, il pointe du doigt les emplacements, ordonne le déplacement des meubles et des affaires emballées. Antonov suit docilement ses indications, malgré l’irritation systématique que ce genre d’attitude provoque habituellement chez ses pairs. Le chien, qui lui a arraché une moue agacée lorsqu’il l’a découvert – des poils partout, la crasse sous les griffes et les crocs, une boule de désordre en mouvance permanente –, lui est sorti de l’esprit, désormais. Basile abhorre le chaos. Tout doit être rangé, ordonné, trié, nettoyé. Si ça ne tenait qu’à lui, il aurait mis le cabot à la porte ; mais il n’a rien dit. Pas même d’yeux levés au ciel ou de grommellements bougons – preuve qu’il tient anormalement à ne pas contrarier Sophie, pour une raison qui lui échappe un peu. Il se dit que c’est par souci de ne pas fragiliser leur alliance, mais la justification sonne faux ; et le concertiste hait les fausses notes, alors il a relégué cette pensée dans un coin qu’il dépoussiérera plus tard – ou jamais.
  Les mains sur les hanches, il s’arrête au milieu de la pièce pour observer le résultat d’un œil critique. Ses yeux sombres caressent la courbe de sa bibliothèque pleine à ras bords de beaux livres d’art et de musique en tout genre – enfin, pas exactement en tout genre : le mélomane déteste ces musiques barbares qu’on entend à la radio ou encore cette soupe populaire qu’on sert aux moutons bêlants ; sans compter l’art gothique, qu’il trouve grossier, et le surréalisme qu’il aurait préféré ne jamais voir émerger des esprits délirants de ces drogués qui se prétendent artistes. La vision de son précieux piano dans le studio lui calme les nerfs. C’est un piano droit allemand d’une valeur mirobolante – presque deux voitures –, sorti tout droit des prestigieux ateliers de Grotrian-Steinweg. Le noir classique de l’instrument est rehaussé d’un liseré d’or en laiton où s’étalent en lettres majuscules la marque de luxe. C’est un cadeau qu’on lui a offert à son apogée de concertiste, et qu’il chérit plus que n’importe lequel de ses biens. Oh, il pourrait le revendre et régler bien des problèmes d’argent, mais l’idée lui donne de l’urticaire et des bouffées d’angoisse. C’est aussi, quelque part, le symbole de sa vengeance ; un rappel harmonieux de la raison pour laquelle il fait tout ceci. Et soigneusement disposé à côté de son flamboyant piano, l’étui usé de son stradivarius côtoie une harpe à pédales de concert. Les marques sont professionnelles, mais le prestige n’est cette fois pas au rendez-vous – quoique cela n’empêche pas la somme de ces deux instruments d’être bien trop élevée. Tout à sa dissonance cognitive, il ne perçoit pas la cocasserie dans le fait de regretter l’inaccessibilité de son art aux plus démunis tout en fronçant le nez devant tous les genres qu’il qualifie avec mépris de “populaires”.
  Du reste, il ne possède pas grand-chose de plus. Pas de voiture, pas de meuble hormis sa bibliothèque, pas d’appareil électronique en dehors d’un smartphone bas de gamme et d’un casque haut de gamme… Seul le matériel médical et paramédical repose sur le lit dans la chambre qu’on lui a cédée : une couverture lestée, son TENS, son pilulier et ses boîtes de médicaments, son dossier médical, un oreiller ergonomique et un fauteuil manuel pliable. Quelques orthèses reposent dans un grand sac, côtoyant des tapes de kinésithérapie et des vêtements compressifs. Il s’en serait volontiers passé, et la simple vue de ce dégueulis médical lui donne la nausée. Heureusement, la voix de Sophie le tire de ses considérations maussades. Basile cille, se retourne et s’approche du canapé où elle est assise dans un coin avec une boîte de ses disques sur les genoux. “Un tri ?” répète-t-il, les sourcils froncés. Le musicien s’assoit à ses côtés avec une élégance qui semble innée, ses prunelles d’orage baissées sur les doigts délicats qui feuillettent le contenu du carton. Il aime l’ossature de Sophie, qui dégage une fausse impression de fragilité ; écho de sa propre enveloppe charnelle. Et il aime aussi la peau qu’il y a dessus, mais il chasse rapidement cette pensée pour se concentrer sur le disque qu’elle lui met sous les yeux. Un rire le secoue, chassant l’air grognon qu’il arborait jusqu’à présent. “Tu as bon goût. C’est bien le seul que je supporte de Schubert.” Le seul qui a du caractère, des envolées, un peu de fracas ; le reste est trop doux, trop timoré. Basile aime le tonnerre et la puissance de la foudre sous les doigts des grands musiciens ; ou bien la malice et l’excentricité. Mais ça… Ça non, c’est trop sage. “J’irai le vendre à un disquaire” décide-t-il en récupérant le disque entre ses doigts de pianiste abîmés par les cordes pour mettre l’objet de côté. “Quoi d’autre ?Qu’a-t-on d’autre en commun, Sophie ? As-tu ne serait-ce qu’un défaut qui pourrait me déplaire ?
  Une grimace fendille son sourire, et Basile se renfonce dans le canapé pour y plaquer et étirer son dos. Un éclair électrique lui parcoure la colonne ; rappel strident qu’il a ignoré trop longtemps sa carcasse fatiguée. Il déteste ça. Être pris par surprise – en traître – par ces douleurs qui le rongent ; devant elle, particulièrement. Il ne veut pas paraître faible, incapable d’accomplir le premier acte de la tragédie qu’ils ont commencé à rédiger en lettres de sang. Ses dents se serrent, grincent derrière les lèvres serrées à en blêmir. L’homme ne peut reprendre son souffle qu’au moment où l’éclair passe, ne laissant derrière lui qu’un résidu fourmillant de douleur. Une main lasse se lève pour frotter un visage tendu, et un soupir de rage passe le barrage de sa bouche pincée. “Quoi d’autre ?” répète-t-il, ton inflexible, intraitable ; incapable d’admettre cette vulnérabilité devant elle. Sa réaction, finalement, pourrait être la première chose à lui déplaire chez Sophie. Il doit forcément y en avoir.


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-- la bruyère couleur
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Sophie Brunelle
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“C’est bien le seul que je supporte de Schubert.”
Sophie peine à réprimer un sourire mélancolique. Préférences personnelles mises de côté, les œuvres de Schubert étaient rangées dans le répertoire initiatique de la Maison. Combien de fois avait-elle fredonné à voix basse en écoutant Alix invoquer les notes de Die Forelle, transcendant le morceau célèbre avec sa voix lumineuse de soprano sous l'œil sévère de son professeur de chant? Ou encore, arpentant les couloirs entre deux leçons, saisie par les échos entraînants du piano de Basile, elle s'était assise sur les marches de l'escalier pour écouter les mélodies exécutées à la perfection – et ce malgré les remontrances du maître qui interrompait la musique à intervalles réguliers (au plus grand déplaisir de la spectatrice invisible). Elle-même n'avait-elle pas été contrainte de retenir les chorégraphies laborieuses et assommantes accompagnant les musiques de ballet de Rosamonde? Schubert avait assurément marqué leurs subconscients, peut-être à leur insu, peut-être en mal, n'en déplaise au grand compositeur. Il avait arpenté les couloirs avec eux, son héritage, assené avec tant de force qu'il avait bien fini par leur pénétrer sous le crâne. À une époque, ces chansons tirées de la Maison étaient source de terreurs nocturnes et de regrets. Sophie s'était cramponnée à ces mélodies comme les seules sources de familiarité dans le monde vorace et inconnu qui l'avait gobée. Elle les avait aussi rejetées de plein fouet comme une mauvaise greffe, tant les souvenirs qu'ils conjuraient chez elle éveillaient sur son corps des sueurs froides. Avec le temps, en se frottant à la musique, elle a fini par se réconcilier avec Schubert. Elle aime la fluidité violente de ses Impromptus, les accords martelés, tantôt bondissants de malice tantôt élégiaques et glaçants. Comment définir cette chaleur satisfaite qui la prend à la poitrine en découvrant qu'elle n'est pas seule à apprécier ces mélodies? C'est absurde, cette fierté silencieuse, à entendre Basile la classer parmi les personnes qu'il considère de bon goût.

Sophie fait mine d'observer les tréfonds du carton mais l'observe du coin de l'œil, lui qui s'est assis à ses côtés et s'étire désormais comme un chat. Elle le sent tout à coup fatigué, lassé peut-être du remue-ménage de la journée. Un éclair passe sur ses traits, difficile à identifier. Par pudeur ou un excès de délicatesse, elle préfère ne pas insister, verbaliser ces détails, ces tics, ces manies qu'elle commencer à relever chez ce camarade que la destinée a replacé sur son chemin, pour ne pas le mettre mal à l'aise.
“Quoi d’autre ?”
Elle hausse les épaules au bout d'un moment, l'ombre d'un sourire qui taquine le coin de ses lèvres, moins crispé que le masque anxieux qui gelait ses traits. C'est Basile. Peu importe, que la maison soit dans un état lamentable, décrépitude additionnée au souk de trois personnes plus un canin logeant sous le même toit. Sa présence la rassure. Elle le trouve en fin de compte plutôt bien assorti à ces murs, contrastes compris. Son élégance cogne le délabrement morne du décor. Le rehausse, le fait un peu briller.
– Excuse-moi. C'est aussi chez toi, ici. Tu peux garder tout ce que tu veux.
En symbole de sa bonne foi, elle dépose le carton sur la pile qui trouvera sa place plus tard sur les étagères. Tant pis pour les doublons – ça fera toujours plus de bonne musique à écouter.
En pianotant un hymne imaginaire sur l'accoudoir, elle songe à celui qu'elle assignerait à Basile. C'est une classification absurde dont elle seule connaît la logique et les fondements, mais cela la rassure, d'organiser ainsi les noms de son maigre carnet d'adresses, d'associer à chacun une période, un thème, un maestro. Elle réalise qu'elle a bien plus de mal à offrir une de ces boîtes bien propres à Basile. Avec les autres, c'est plus simple. Antonov possède la force tranquille et la fougue dormante d'une symphonie de Brahms, énigmatique et caressante. George lui évoque du Ravel, du Debussy, tout en Prélude à l'après-midi d'un faune et d'une Barque sur l'océan, une douceur distraite, songeuse, imprévisible, un peu hors de ce monde. Mais Basile alors? Il a quelque chose du panache de Beethoven et de la mélancolie de Liszt. Une ardeur un peu désespérée, grondante et frénétique, qu'elle a entraperçue dans ses prunelles devant le Judith et Holopherne, qui lui fait penser aux compositions de Tchaïkovsky et de Paganini. Impossible à classer. Elle dressera son portrait musical une autre fois, se délectera même d'y réfléchir minutieusement jusqu'à trouver la juste combinaison. Ce sera son puzzle personnel à assembler, une pièce après l'autre, jour après jour.

Les pas d'Antonov font grincer le parquet à l'étage, juste au-dessus de leurs têtes, percent un peu le silence. De la poussière tombe du plafond, s'échappe de la peinture qui s'écaille, du plâtre qui se détériore. La vétuste demeure se recroqueville au fil des semaines dans la ruine qui la grignote. Un jour, elle finira par les avaler aussi.
– Je sais, ce n'est pas un palais, commente-t-elle en chassant de la main la poudre pâle qui leur tombe dessus comme de la neige. Mais ce n'est pas une prison non plus. Plaisanterie maladroite, qu'elle essaie de rattraper avec une proposition plus douce:
– Je pourrais t'emmener voir la National Gallery un jour. Je pense que ça te plairait.
Ses tableaux préférés sont là-bas, elle voudrait les lui montrer, mais elle finit par se taire, mal habituée à parler autant. L'espace d'une seconde, elle oublierait presque pourquoi il est venu ici. Que leur rencontre n'est pas fortuite, qu'il leur reste encore beaucoup à accomplir. Un long périple, et ils n'en sont qu'au début.


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Basile Callune
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To build a home


TW/CW déni, peur de l’abandon, évocation de sexualité, médicaments (antidépresseurs), douleurs chroniques, élitisme, préméditation de meurtre.

  Les lèvres de Sophie frémissent, et Basile peine à ne pas remarquer ces élans de plaisir discrets qu’ils semblent partager chaque fois qu’un point commun est ajouté à leur partition. C’est comme un fil invisible qui se tend dans ses entrailles dès qu’une note supplémentaire est couchée sur le papier imaginaire qu’ils remplissent de connivence ; l’impression d’avoir fait le bon choix, certes, mais également autre chose qui le ravit et ravive une flamme éteinte – si elle s’est jamais allumée un jour. Il existe certaines choses secrètes qui palpitent entre ses côtes ; lui-même peine à en définir les contours et à comprendre ce qu’elles lui veulent. La sensation d’être un inconnu pour lui-même lui pèse parfois. Avec l’âge, il a fini par mettre ce sentiment désagréable de côté, mais les années qui ont suivi son évasion l’ont particulièrement secoué. Constater qu’il ne partageait aucune des préoccupations des garçons de son âge lui a fait tout drôle ; le mépris en bouclier, il a repoussé l’idée qu’il était anormal, cassé. Elle tourne toujours dans sa tête, résistante à toutes ces couches de dédain qu’il étale sur chaque homme qui continue de lui donner cette impression. C’est qu’ils sont vulgaires, grossiers, mal dégrossis – ce n’est pas lui qui a un problème, c’est eux qui sont obsédés. Le musicien n’a jamais trouvé d’intérêt dans les amitiés, les amours et la sexualité. Et ce n’est pas lui, le problème. Ce sont tous ces mecs superficiels. N’en déplaise aux psys qui ont mentionné les effets secondaires de ses antidépresseurs ou la dissociation qui fait rempart dès qu’une émotion différente de la colère bouscule ses certitudes ; dès qu’une sensation différente de la douleur parasite son corps ; dès qu’une situation ressemble dangereusement à une relation – synonyme de futur abandon. Il refuse de se sentir ou de se dire traumatisé. Il refuse de subir les conséquences de ce qu’on lui a infligé. Tout ça doit prendre fin ; de gré ou de force.
  Comme en réponse à ses appels silencieux, la douleur le délivre du supplice. Plus besoin de mettre toutes ses forces dans le refus de cette réalité si le corps grince et gémit suffisamment fort pour accaparer toutes ses pensées. La vague reflue, néanmoins. Sans que Sophie ne fasse mine de le dévisager ou de commenter. Ses (beaux) yeux sont plongés dans l’obscurité du carton à trier. Il ne surprend que l’arrondi discret d’un coup d’œil de temps à autre. Elle semble attendre que la souffrance passe. Il respire mieux, se détend un peu. Répète sa question, comme si rien n’avait interrompu leur discussion. Ses épaules se haussent et un rien de sourire joue sur ses lèvres. La surprise se peint sur les traits de Basile lorsqu’elle change d’avis ; plus besoin de jeter les doublons, il est ici chez lui aussi. Ce n’est pas tant l’idée d’avoir un chez-lui – qu’il peine de toute manière à croire réalisable un jour – que ce mot, ce aussi jeté en travers de la phrase. C’est l’idée du partage, de l’intimité en commun qui expl(écl)o(t)se dans sa poitrine. La confusion brouille son visage ; incapable de déterminer ce qu’il ressent précisément. “D’accord” dit-il d’abord, comme un robot accuse réception d’une notification. “Mais ça ne me dérange pas. De trier.” Le merci aux lèvres qui ne se dit pas. Ses yeux sombres l’observent déposer le carton, hors d’atteinte ; plus une option.
  Le mutisme de celui qui ne sait pas quoi dire s’installe, tandis que ses prunelles s’égarent sur le rythme dicté par les (jolis) doigts de son hôte – ou plutôt, de sa colocataire. Ses sourcils se froncent, expression d’une frustration égotique ; celle de ne pas trouver la musique. “Qu’est-ce que c’est ?” demande-t-il alors, désignant sa main du menton. On ne montre pas du doigt, même si c’est très pratique. La conversation est bientôt saupoudrée de poussière, quand les pas à l’étage secouent le plafond fragile. Comme si elle sentait le besoin de s’en excuser, Sophie commente le délabrement de la maison avec une touche d’humour grinçante qui lui rappelle cette adolescente inatteignable, au visage inébranlable et aux mots lointains. Basile la trouve superbe, dans sa fierté d’ivoire. Et puis, soudain, elle lui propose de visiter la National Gallery ; avec elle. Ce n’est pas “Tu pourrais aller voir la National Gallery” ; c’est “Je pourrais t’emmener voir la National Gallery.” Les yeux sombres s’arrondissent légèrement. L’idée de se promener avec Sophie pourrait ; non, devrait être saugrenue. Ils sont censés planifier un meurtre, après tout. Mais la douce absurdité de flâner à ses côtés dans un temple de l’art sonne comme de la poésie à ses oreilles. Deux vétérans réapprenant à aimer ce qu’on leur a volé, tout en préméditant la fin sanglante de ceux qui les ont brisés. Un sourire qui n’a rien de sarcastique ou même d’amusé se dessine sur ses lèvres. Basile hoche la tête, ferme un bref instant les yeux avant de trouver les siens. “Ce serait avec plaisir. Tu as déjà assisté à un concert au London Symphony Orchestra ?” Un vestige de son passé de concertiste ; un autre lieu de pèlerinage qu’ils pourraient s’accorder.


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triggers: mention d'un accident


L'éclair qui a traversé le corps de Basile comme un coup d'électricité glacé n'est pas passé inaperçu aux yeux de Sophie. Elle a détourné le regard, fait mine de ne rien remarquer, les traits détendus et insondables malgré des questions qui ne franchissent pas le seuil de ses lèvres. Quand sa jambe se réveille comme un paquet d'aiguilles, elle ne supporte pas la compassion ou les regards craintifs et inquiets de ses congénères, cette espèce de pitié qui blesse son orgueil. Habituée à ravaler les tiraillements des nerfs ou les panser dans la solitude, elle se rend compte qu'elle projette ses propres attentes sur Basile, qu'il ne fonctionne peut-être pas comme elle, que ce jeu de ne rien voir qui lui sied à elle n'est peut-être qu'une réaction cruelle pour lui.
Sophie se demande si elle ne manque pas quelque chose. Une occasion de tisser un lien, de mieux comprendre l'être qui se tient assis à côté d'elle, de l'épauler, comme le voudrait l'accord officieux qu'ils ont passé depuis l'instant où ils se sont retrouvés. Et même sans ça, sans cette promesse et ces ambitions destructrices communes, elle ne devrait, ne pourrait pas fermer les yeux sur sa douleur. En fin de compte, le moment est passé, il est trop tard pour réagir.

Il y a d'autres préoccupations qui tombent, plus légères, des broutilles pour distraire. Ce n'est qu'à la remarque de Basile qu'elle s'aperçoit des mouvements de sa main, la pointe des doigts qui tapent la cadence d'une mélodie inexistante.
Qu’est-ce que c’est ?
Elle baisse les yeux vers ses propres articulations, comme si la réponse se cachait entre les petits vallons osseux.
– Ça? Oh, je n'en sais rien... J'ai dû l'entendre à la radio. C'est agaçant, je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Et puis de toute façon, ce n'est pas moi, le pianiste, décoche-t-elle avec malice.

En chassant la poussière semée par les agitations de la maison de leurs cheveux, la conversation serpente et s'allège, évoque des visites, des possibilités de découvertes. Durant un instant, une seconde frémissante et fugace, c'est comme s'il n'y avait rien d'autre que la possibilité d'une vie simple, seulement ça, la musique et l'art, sans monstre caché d'antan, sans représailles. Sophie touche ce fantasme, se laisse happer par cette perspective, même si son pragmatisme la tire en arrière, l'empêche de se laisse aller à la rêverie pour de bon.
Ce serait avec plaisir. Tu as déjà assisté à un concert au London Symphony Orchestra ?
Il faut répondre par la négative: jamais, et elle n'a aucune excuse, même si l'attente en vaudra sûrement la chandelle, surtout si elle peut vivre cette expérience aux côtés de ce nouvel allié.
– Il va falloir faire une bucket list, observe-t-elle, un fantôme de sourire au coin des lèvres.
En parlant de musique, Sophie indique d'un signe du pouce le piano qui trône en maître dans la salle adjacente.
– Tu as eu le temps d'essayer ce que ça donnait là-bas, d'ailleurs? L'acoustique te convient?
Si son talent à elle (son don comme ils l'appelaient à la Maison) s'est éteint en un souffle le jour où un décor entier s'est effondré sur sa jambe, qu'elle ne pourra plus jamais le manifester, le matérialiser autrement qu'à travers ses élèves, tel n'est pas le cas de Basile, dont la virtuosité qui a fait sa renommée est toujours palpitante et tenace. Ce serait mentir de dire qu'elle n'est pas allée regarder sur internet plus tard, après leurs retrouvailles italiennes, pour se perdre dans les pixels en quête de vidéos du musicien, certains des extraits plus flous que d'autres, la qualité du son malmenée par le médium digital. Ce sera autre chose de l'écouter jouer pour de vrai sous ce toit, même si la maison délaissée n'a pas les beaux atours d'une salle de concert.
– Ça fait longtemps que je ne t'ai pas entendu au piano. Avant, je me souviens que les lundi, quand j'avais trente minutes de libre entre nos cours d'Histoire et mes sessions avec mon professeur, je les passais assise dans les escaliers à t'écouter. Tu as toujours été très doué.
Sa voix se tait, timide toujours lorsqu'elle parle plus qu'elle ne devrait, si peu habituée à s'épancher, encore moins à évoquer leur quotidien là-bas. Dans ce purgatoire, il y avait quand même des instants d'harmonie, rares et fluets, réels pourtant, assez pour qu'elle en garde le puissant souvenir.


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Basile Callune
Basile Callune

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Citation : I will burn them to the ground and stand on their ashes.
Âge : (( TRENTE ET UNE )) années parties en fumée le long des dunes ravagées de son amertume.
Pronoms irp : (( IL )) se traîne au masculin singulier.
Statut Civil : sous la pluie battante d’un (( CÉLIBAT )) éternel.
Occupation : (( PROFESSEUR )) prodige aux mille cordes sensibles, Basile sait faire chanter tous les instruments.
Habitation : sous le toit décrépi de la maison de Sophie à (( WANDSWORTH )).
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TW/CW traumatisme, préméditation de meurtre, douleurs chroniques, élitisme.

  L’instant de gravité est passé ; semble passé, du moins. Comme si abandonner l’idée de trier ce carton revenait à cesser de remuer le passé et embrasser plutôt le présent. Ce n’est pas désagréable ; c’est surtout inattendu, inédit même. Basile, qui n’a jamais vécu que dans la perspective du futur, se trouve soudain presque déstabilisé par cet ancrage au présent. Mais, encore une fois, ce n’est pas désagréable. Ses yeux suivent les doigts de Sophie, les jolis doigts qui terminent le joli bras – bientôt soumis à l’intensité de ce regard que l’ex-danseuse pose sur son propre corps avec une forme de surprise. Elle ne paraît pas avoir prêté attention à ce pianotage incessant. Le musicien, lui, évidemment, a tout vu – gagné par la frustration qu’exprime sa compagne à ne pas retrouver la mélodie qui hante jusqu’à ses articulations muettes. Sa réponse soulève une commissure chez le mâle mélodieux ; après tout, c’est lui l’oiseau chargé de parader bruyamment pour obtenir l’attention de ses semblables. Elle, elle se contente d’être – gracieuse, élégante, gestes empreints d’une divine musique qu’il aimerait pouvoir composer rien que pour la faire danser encore. Peut-être ne peut-elle plus retrouver sa superbe de jadis, mais elle peut toujours danser, n’est-ce pas ? Un point d’interrogation lancinant, qu’il n’est pas sûr de pouvoir formuler à haute voix ; pas tout de suite, du moins. Ils ne sont pas assez proches pour ça. Et pourtant, ils sont là, à fomenter un meurtre et emménager ensemble. Partager un traumatisme abat-il toutes les barrières de la pudeur ? Cela expliquerait peut-être ce lien indestructible qu’il sent palpiter entre eux ; invisible, mais bien présent.
  Ses prunelles sombres cessent de caresser les doigts, qu’il a trop longtemps contemplés, et se relèvent vers le visage amusé – mutin, ose-t-il penser. Un instant suspendu, leurs iris se fondent dans un courant électrique bien différent de celui qui lui maltraite l’échine. Sophie. Un prénom qui a hanté ses nuits, les a rendu moins sombres – à défaut de les éclairer. La fin de son adolescence et sa vie de jeune adulte retardé se sont fondues dans ce prénom ; celui qui a tout fait basculer la première fois, celui qui lui a permis de s’élancer vers la liberté. À nouveau, il recroise sa route et l’obsède d’une façon bien différente. Ce ne sont plus des enfants, et il a la sensation qu’une seule personne, désormais, est capable de le comprendre ; et cette personne se tient là. L’idée qu’on le lui arrache à nouveau est si intolérable qu’un grondement de tonnerre roule dans ses entrailles, descend dans ce ventre ordinairement silencieux ; jamais agité, jamais soulevé par quelque émoi que ce soit. Basile ne cerne toujours pas bien ce qu’il se trame entre ses côtes, mais pour une fois, il ne le rejette pas. Il se contente de l’embrasser avec la timidité qu’il déguise en dédain pour masquer sa fébrilité. “J’ai beau être pianiste, il me faut tout de même quelques notes pour recomposer une mélodie.” Le ton pourrait être méprisant si le sourire qui ombrait sa bouche n’était pas si taquin.
  L’horizon des possibles s’ouvre à eux lorsque tombe la mention de tous ces lieux. Tous ceux qu’ils pourraient visiter ensemble. C’est un drôle de mot que celui-ci lorsqu’on est habitué depuis tout petit à ne compter que sur soi-même. Là-bas, dans la Maison, compter sur les autres revenait à les condamner ; une seule frasque couverte pouvait leur coûter des heures de punition. Basile a, de toute façon, toujours été un animal solitaire. Il n’a jamais su vivre autrement. Le bruit et la foule lui donnent des sueurs froides, s’il n’est pas assis dernière un piano à les surplomber de sa maestria. Il ne saurait pas comment vivre au milieu d’une famille, quelle qu’elle soit. Mais aux côtés d’une autre créature isolée, pourquoi pas… L’idée n’est pas bien plus saugrenue que celle de préméditer un assassinat sous une baraque en ruines. Évidemment, lorsqu’elle avoue n’être jamais allée au London Symphonic Orchestra, un rare sourire franc éclaire le visage si sérieux du musicien. “Je t’emmènerai.” Une promesse. Qui illumine cette journée prévue, lointaine encore, mais déjà ravissante à l’idée de lui faire découvrir ce lieu magique avec la certitude qu’elle saura en apprécier toutes les beautés.
  L’idée de la bucket list fait papillonner les paupières de Basile, avant que sa tête ne se hoche avec un air pensif. “Je ne sais même pas ce que j’y mettrais” admet-il, perplexe. “Tu as des envies, toi ?” Évidemment, le musicien a immédiatement en tête un parcours à thème musical, mais il a déjà exploré une bonne partie de ce que Londres avait à offrir sur ce plan-là lorsqu’il venait y performer. Prendre conscience qu’il ne sait pas ce qu’il veut, ce qu’il désire en dehors de ce que les Mécènes lui ont inculqué jusqu’à la moelle lui laisse un goût d’amertume. Que sait-il faire d’autre, à part jouer ? C’est toute sa vie, depuis toujours. Il n’a jamais pris le temps de lire autre chose que des partitions – ou les classiques obligatoires à la Maison. Sa culture cinématographique repose essentiellement sur ce que la secte lui a enseigné ; pourtant, Basile aime le cinéma. N’est-ce pas ? Le doute est terrible, pervers et s’insinue avec ses doigts glacés entre les os recroquevillés de sa cage thoracique. Heureusement, Sophie tire le fil de son attention vers son piano. Il trône en roi, imperturbable ; indifférent aux tourments de son propriétaire. “Non.” Une idée, brusquement, lui vient. Un élan de spontanéité qui gomme cette peur angoissante de n’être que le produit de ses traumatismes – du moins, pour l’instant. “Tu sais quoi ? Je vais l’essayer tout de suite.” Il se redresse à demi, ravalant une grimace (trop vite, il s’est levé trop vite et ses genoux n’apprécient pas), avant de tourner sa silhouette gracile vers Sophie. “Tu pourrais me chantonner cet air que tu ne retrouves pas ?” Le jeu l’amuse déjà follement.
  Le duo entoure bientôt l’imposant instrument ; Basile, impérial, prend place et effleure les touches de ses doigts experts – comme on caresse une maîtresse ou un amant. Il est prêt à retranscrire les notes, à remonter le fil de cette énigme musicale qui l’enthousiasme comme un jeune prétendant. Un aveu, cependant, suspend le mouvement. Basile se fige, l’air si vulnérable tout à coup. Elle l’écoutait jouer depuis l’escalier ? Il se passe quelques secondes de trop, durant lesquelles son visage trahit le plaisir secret qu’il éprouve immédiatement à cette révélation. Ses souvenirs tronqués se superposent au fantasme de Sophie, assise sur les marches, beauté automnale qui s’immerge dans le bain de ses mélopées aveugles. Cette image a quelque chose de si intime, inexplicablement, que ses pommettes brunes lui donnent soudain chaud. Qu’elle apprécie son travail, sa musique, ce que produisent ses doigts a les allures d’un compliment d’une infinie tendresse qui l’émeut plus qu’il n’aurait pu l’imaginer – c’est bien simple, il n’imaginait rien. Il se racle la gorge, paré des atours d’un étudiant intimidé ; toute sa superbe envolée, la carapace fendue en son centre avec la précision chirurgicale d’une lame stérilisée. “Tu…” La voix se casse, mal assurée. Un surgissement d’embarras lui tord l’estomac. “Je ne joue plus aussi bien, maintenant.” Il se contente de cette confession, de fixer ses mains abîmées par les douleurs ; trop raides, trop recroquevillées pour enfiler la souplesse et la célérité d’avant. Avant que son corps ne supplie, avant que les murs de son esprit ne s’effondrent et fassent exploser toutes les douleurs qui l’ont toujours torturé. Pire que tout, l’idée de la décevoir lui donne la nausée.

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Sophie Brunelle
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Âge : les trente automnes se composent en staccato.
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Statut Civil : cultive sa solitude avec le soin d'un jardinier à ses rosiers.
Occupation : professeur de ballet, sa canne heurte le sol au tempo de la mélodie, métronome infaillible terrorisant ses jeunes élèves.
Habitation : en compagnie de Basile, hante les couloirs décrépis d'une maison de wandsworth.
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☞ dialogues: fr/eng, 3ème personne.
☞ 300 à 700 mots en moyenne.
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Je t’emmènerai.
Sophie aime sa façon de le dire. Ce n'est pas un serment fade et vide, une de ces choses que les gens affirment pour combler un creux, ou parce que la bienséance l'exige. À sa manière d'articuler les mots, elle sait que c'est la vérité, que son esprit chemine avec les mots, avec l'intention de les porter jusqu'au bout.
L'idée de concevoir une bucket list l'amuse. Sophie n'en a jamais réalisée avant, ni à Paris, ni ici. Ce serait mentir de dire que des envies d'exploration ne l'ont jamais prise, stimulées par une image au détour d'un livre ou de mots aguicheurs sur une affiche. La question de Basile lui fait prendre conscience qu'elle n'a jamais pris le temps de s'aventurer dans Londres comme une personne normale, de s'abandonner à ses parcs, ses artères, son charme, son énergie qui diverge en tout point de la capitale française. Depuis son arrivée, elle s'est fondue dans la maison de Wandsworth comme un fantôme, absorbée par les murs délabrés, un simple reflet dans un miroir moucheté, ombre tremblante d'une flamme furibonde de vengeance vieillissante. À quel moment un fantôme finit-il par disparaître? Elle devait être heureuse de n'avoir jamais atteint cet état d'effacement.
En attrapant un stylo reposant sur la table basse, Sophie lisse une feuille jaune échappée d'un carnet sur ses genoux. De son écriture soignée, elle trace le titre de leur liste en majuscules.
« Je mettrais le London Coliseum, déclame-t-elle, pensive. Et le Kyoto Garden à Holland Park... »
En mordillant la pointe du stylo, elle rajoute encore une ou deux locations, puis lisse une dernière fois la feuille qui sera leur liste d'envies.
– On la laissera dans l'entrée. À chaque fois qu'une idée nous viendra, on la rajoutera dessus. Comme ça, on oubliera rien.
C'est peut-être une bonne chose, de se fixer des projets de vadrouille, aussi banals et ordinaires soient-ils. C'est le banal et l'ordinaire qui les rattache au monde. Surtout avec ce qu'ils s'apprêtent à commettre.

La vivacité soudaine avec laquelle Basile se lève pour aller essayer le piano la prend au dépourvu, mais elle se laisse contaminer, posée comme une plume sur la rivière de son enthousiasme pour se laisser porter. Abandonnant le poste poussiéreux dans le creux du canapé, elle en oublie même la canne à tête de cane. Mue par l'habitude, exploratrice de son propre parcours d'obstacle, tout ce qui saille et déborde lui sert de béquille, elle s'appuie sur le plateau d'une console, le recoin d'une boiserie, la poignée de la porte pour avancer sans trébucher. Près de l'instrument qui règne en monarque choyé, elle a tiré une chaise, observe Basile s'installer, régler le tabouret, survoler les touches claires de ses longs doigts souples. Ses oreilles bourdonnent d'anticipation, une hâte presque juvénile d'écouter la musique couler dans les couloirs, comme si la mélodie était capable de guérir la demeure de son mal intérieur, redresser le squelette érodé par la pluie. Elle en oublie les échardes du dossier qui lui piquent les coudes, le froid un peu humide qui palpe l'air et les enveloppe dans des parfums de brume. À la demande de Basile de fredonner l'air qui lui trottait dans le crâne, Sophie gigote un peu sur son séant. Le chant n'est définitivement pas son don. Elle ne s'y risque même pas en prenant son bain. En refoulant la gêne qui prend tout novice invité à ouvrir le bec, comme si chantonner un hymne était la clé de tous ses secrets, elle fait mine de chercher le morceau dans sa mémoire. Il lui faut un moment pour trouver la bonne tonalité, mais après deux essais de notes bancales, une chanson timide s'écoule de sa gorge. Ses yeux caressent les lignes du plafond, cherchent dans leur géométrie hasardeuse la concentration pour restituer au mieux la musique qui joue dans son crâne mais que l'instrument cassé de sa voix peine à exprimer. Lèvres pincées, la tête dodelinant au fil du rythme, l'embarras laisse la place à l'humour – elle refoule même difficilement un rire lorsqu'il lui faut grimper dans les aigus et qu'elle échoue avec le couinement ultime d'un oiseau agonisant.
« Si avec ça, tu ne trouves pas de quoi jouer quelque chose... »

Je ne joue plus aussi bien, maintenant.
Les mots sont tremblants et chétifs, soufflent sur le flambeau d'assurance baroque qui embrasait la silhouette de son vis à vis. C'est singulier de se dire que c'est la même personne, ici l'orgueil et la superbe, là le doute et l'épuisement. Mais elle s'en fiche, Sophie, que le costume de maîtrise inébranlable glisse un peu, que des morceaux de crainte saillent par-ci par-là, révèlent des fragments de l'enfant de la Maison. Basile est bien plus que ça, plus que cette aura, plus que cet instrument, plus que leur passé. Un réflexe sursaute dans ses muscles, la pousse à se lever, mais sa cuisse proteste, l'oblige à retomber sur sa chaise. Alors elle se penche en avant, la main papillonnante vers celle de Basile, la plus proche de sa portée. Ses doigts serrent les phalanges froides d'une pression délicate, aussi légère que le poids d'un oiseau.
– Hé, ça ne pourra pas être pire que ce que je viens de chanter, Baz.
En parlant, elle dérape, ne s'en aperçoit qu'en achevant la phrase, première fois qu'elle raccourcit ainsi son prénom. L'excès insouciant de familiarité plaque une rougeur sur ses pommettes, incertaine qu'elle soit appréciée par son interlocuteur.


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TW/CW anxiété de performance, anxiété sociale.

  Il y a quelque chose d’innocent dans la façon dont Sophie s’empare de l’idée pour la coucher sur le papier. Basile ne peut pas s’empêcher de l’observer ; elle, pas la liste. Son expression pensive, son air concentré, la façon dont ses sourcils se froncent légèrement, sa bouche d’où émergent d’adorables dents prêtes à abîmer le stylo… Son cœur manque un battement lorsque les longs cils de biche de la danseuse se relèvent pour capter son regard. Un peu idiot, le musicien se racle discrètement la gorge et tente de chasser – sans succès – la chaleur qu’il sent monter le long de son cou pour envahir son visage. “Oui, bonne idée” approuve-t-il immédiatement, pressé de chasser la fugacité de ce moment que son cœur peine à qualifier. En réalité, sa proposition le séduit par sa simplicité ; nourrir l’impression d’être deux jeunes touristes à Londres pour mieux enfouir leurs desseins sanglants sous un tapis imbibé de sang.
  Propulsé dans ce fol galop après des songes d’enfant, Basile se laisse porter par d’anciennes rêveries et la nostalgie d’une réalité qu’il n’a jamais goûtée. Assis face au clavier, Sophie à ses côtés, il se prend à imaginer une dimension où cet instant aurait déjà existé mille fois. À sa demande de fredonner le mystère qui les occupe, la jeune femme se tortille un peu sur son siège – cette vision arrache un petit sourire coupable au pianiste, qui baisse un peu le nez pour le ravaler dans le secret d’une hilarité toute adolescente. Enfin, quelques notes, puis elle se lance en fixant le plafond avec des yeux presque absents. D’abord, la voix est timide, avant de se prendre au jeu à mesure que les notes l’accompagnent en essais pensifs – trop absorbé par le spectacle du rire rôdant aux abords des commissures de Sophie, Basile rate une touche. Quiconque a l’oreille attentive de l’expert prendrait conscience du caractère grossier de cette fausse note. Même abîmé, Callune demeure un maître en son royaume lorsque ses doigts reposent sur un piano. Il finit par se joindre au rire de sa camarade, qui se tourne en dérision. “Ton sacrifice n’aura pas été vain. Je vais trouver” assure-t-il avec une pointe d’humour, qui finit bien vite noyée par la perspective d’échouer – pire, de décevoir la fille à ses côtés. Celle d’hier, qui écoutait aux portes de la salle de musique ; celle d’aujourd’hui, qui attend qu’il transforme un fredonnement maladroit en mélodie pleine de maestria.
  Son aveu fait trembler les cloisons fragiles de son ego, approfondit les fissures qui le craquelaient déjà. Cessera-t-il un jour d’être l’enfant silencieux de la Maison, en proie aux mêmes démons, remonté sans cesse pour jouer la même petite musique ronronnante ? Un élan manque de le faire sursauter ; pas le sien, celui de Sophie qui tente en vain de se lever, puis abandonne. Déstabilisé, il entrouvre la bouche, avant de la refermer aussi sec en la voyant fondre sur lui – du moins, c’est l’impression qu’il en tire, à la voir se rapprocher si vite. Ses yeux écarquillés ne se baissent que lentement sur ces doigts élégants qui étreignent soudain ses phalanges. Un battement de cils, et son regard sombre effleure le sien dans un drôle d’instant suspendu. Il remarque enfin la teinte de ses pommettes, plus soutenue – rien qu’un peu. Baz. À nouveau ce stupide cœur qui déraille, ces stupides lèvres qui s’entrouvrent sur le silence, ces stupides prunelles qui tremblent comme une tourterelle égarée sous la pluie battante. L’intimité du moment l’effraie, lui donne envie de retirer sa main comme s’il s’était brûlé – de balayer ses mots rassurants de sa superbe suffisante, “Encore heureux !” Au lieu de quoi, il se contente de la regarder comme s’il n’existait plus rien d’autre au monde que son visage et leurs peaux brûlantes comme des silex scintillant d’étincelles.

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